• MYTHE ET CULTURE : 

    Les mythes « sont à la base de nos différentes cultures, qu'ils rattachent à un fond commun universel. Les étudier permet d'entrer en dialogue avec soi-même et avec les autres hommes ».

    superman 01Le mythe a pris cette appellation notionnelle qu'après l'intérêt qui lui ont porté les réflexions philosophiques, puisque, avant cela, il était considéré comme une croyance à part entière. L'homme croit d'abord à l'élémentaire, c'est-à-dire à ce qu'il peut voir, par exemple à l'eau, la terre, le feu, etc. Ensuite, de ce qu'il voit, l'homme croit à ce qu'il ne peut voir, ce qui n'est pas physique, ce qu'il ne peut pas toucher, cela peut être un sentiment, comme l'amitié, ou bien une force plus supérieure qui explique l'existence en elle-même, comme la présence d'une divinité.

    La croyance est une prise de position qui justifie la véracité d'une proposition, elle peut venir d'un certain nombre d'événements qui se produisent dans notre vie et auxquels nous adhérons. La croyance est aussi une opinion, puisque chacun possède le droit de se faire des opinions sur ces mêmes événements et cela permet à la croyance de toujours rester en mouvement. Cette liberté de prise de position, d'adhésion, d'opinion et ce mouvement continu de la croyance la rendent  culturelle. Ainsi, le mythe en tant que croyance est, en quelque sorte, la première brique qui a permis de construire l'édifice de la culture, et quand il change d'un endroit à un autre, la culture le fait également. 

    Selon Melville J. Herskovits, la culture s'apprend, elle permet à l'homme de s'adapter à son milieu naturel et elle varie beaucoup, elle se manifeste dans des institutions, des formes de pensée et des objets matériels. Il propose une des meilleures définitions de la culture, quoique déjà citée par Edward Burnett Tylor, qui la définit comme « un tout complexe qui inclut les connaissances, les croyances, l'art, la morale, les lois, les coutumes et toutes autres dispositions et habitudes acquises par l'homme en tant que membre d'une société ».

    Herskovits définit brièvement ce concept en ajoutant que « la culture est ce qui dans le milieu est dû à l'homme ». Cela sous-entend que la vie de l'homme se poursuit dans un cadre double : l'habitat naturel et le milieu social. Cette définition explique que la culture est plus qu'un phénomène biologique. Elle inclut tous les éléments dans le caractère de l'homme adulte qu'il a consciemment appris de son groupe et sur un plan quelque peu différent, par un processus de conditionnement : techniques, institutions sociales ou autres, croyances, modes de conduite déterminés, etc.

    La culture est universelle en tant qu'acquisition humaine, mais chacune de ses manifestations locales ou régionales peut être considérée comme unique. Vu que l'homme est souvent défini comme un « animal créateur de culture », donc on reconnaît l'universalité de la culture. Elle est un attribut de tous les êtres humains quels que soient les lieux où ils vivent et leurs façons de vivre. La culture est donc stable, mais elle est aussi dynamique et manifeste des changements continus et constants. Les seules cultures entièrement statiques sont celles qui sont mortes.

    La culture est une sorte de « melting pot », puisqu'elle est un ensemble d'influences, d'échanges et d'emprunts culturels, nous recevons beaucoup des autres cultures, par exemple le riz et les pâtes de la Chine, les épices de l’Inde, les tapis de Turquie, le tabac d’Amérique du Sud, le hamburger des Etats-Unis, Hollywood et Bollywood sur nos télévisions, les voitures coréennes, les téléphones portables japonais, les philosophies et modes de vie qui se mélangent, comme l’American way of life avec la culture new age, la pensée spirituelle orientale avec le végétarisme, etc.

    La culture remplit, et dans une large mesure détermine, le cours de nos vies, mais s'impose rarement à notre pensée consciente. La question philosophique qui se pose ici est celle de savoir si la culture est une fonction de la mentalité humaine ou si elle existe en soi et par soi. La réponse à cette question repose sur le fait que la culture, étant « extrahumaine », « super-organique », échappe au contrôle de l'homme et opère dans les limites de ses propres lois. Donc « toute culture dépasse ce qu'un individu peut saisir ou manipuler ».

     

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    Note : Dans les quatre cours de ce module, les références des citations manquent, je les ajouterai prochainement.

     

     


  • Je vous conseille la lecture de ce livre :

     

    Les 100 mythes de la culture généraleLe mythe est un outil puissant : là où la raison réclame du temps, de l’attention, une éducation, voire une méthode, le mythe ne demande rien ou presque. Il touche à l’imagination, joue sur la sensibilité, transmet avec simplicité et efficacité. Il est le vecteur idéal pour la propagation de ce que l’on juge universel. Il est aussi une arme redoutable aux mains des démagogues. Le mythe, de façon ambivalente, structure ainsi notre culture. De Sisyphe à Jeanne d’Arc en passant par l’Éternel retour ou bien encore la Joconde, Batman ou le Père Noël, 100 mythes d’hier et d’aujourd’hui sont analysés, auscultés pour ce qu’ils nous révèlent, et pour ce qu’ils nous dissimulent.

    Lien : PUF

     

     

     


  • SACRÉ ET MYTHE : 

     « Le mythe est un système de communication, c'est un message », Roland Barthes.

     

    1001 nuitsLe mythe n'est donc ni objet, ni concept, ni idée, il est plutôt un mode de signification, une forme. Ainsi, pour que le langage devienne mythe, il lui faut des conditions particulières, comme des limites historiques, des conditions d’emploi, un environnement social précis, etc.

    Comme nous l'avons déjà vu, la parole doit être consacrée pour qu'elle soit sacrée, et c'est exactement cette parole sacrée qui est l'outil par lequel le mythe se raconte. D'ailleurs le mythe signifie « parole » ou « récit » en grec, il est cette parole, à la différence des contes, reconnue pour vraie par les sociétés traditionnelles, puisqu'il transmet des vérités archétypales aux hommes, grâce à son langage poétique accessible à tous.

    Les mythes se présentent comme l'explication des questions fondamentales que se pose toute société. Ils remontent au temps primordial : « le temps des commencements ». Ils ne peuvent être transmis que par le Verbe, c'est-à-dire, de bouche à oreille, de génération à génération ; ils sont l'expression du Verbe créateur. Mythe et conte se basent sur la parole, elle est leur force :

    Le mythe et le conte sont la parole dans sa première gestation. C'est pourquoi, si la parole est malade, comme le dit Vittorio Gasman, il devient urgent de revenir à ses fondements qui sont encore à notre disposition, à travers les mythes et les contes. Lorsque la parole ne fonctionne pas, c'est la violence qui gagne. Les mythes et les contes, par l'apprentissage du processus symbolique qu'ils proposent, sont là pour nous aider à faire sortir la parole de la violence. C'est de la naissance de l'homme lui-même dont il s'agit. 

    Le conte est l'exemple idéal afin de mieux comprendre l'importance de la parole. Dans sa tradition la plus originale et la plus profonde, il consiste à remettre l'auditeur, ou le lecteur de nos jours, dans la logique de la vie à travers sa symbolique.

    Parmi les contes les plus célèbres, ceux des Mille et Une Nuits occupent une place importante. Étant des contes populaires en arabe, d'origine persane et indienne, ils commencent par le conte de Shéhérazade. Celle-ci est une femme qui, contre l'avis de tout le monde, désire épouser un roi tueur de ses femmes, chacune le matin même de ses épousailles, et cela est du à une tromperie et une humiliation causées par sa propre femme. Pour le guérir, Shéhérazade lui raconte, chaque nuit, des contes inachevés avant le lever du soleil, afin de susciter son intérêt de savoir la suite et remettre sans cesse son projet de meurtre au lendemain. De fil en aiguille, il se passe mille et une nuits. Mais finalement, Shéhérazade est à court de conte, mais durant tout ce temps, elle a eu trois enfants et explique à son mari qu'il serait dommage que ces enfants restent sans mère. Le roi lui répond alors qu'il y a longtemps qu'il avait décidé de ne pas la tuer ; puisqu'elle est une femme pure et fidèle. Elle avait donc réussi à le guérir et à le remettre dans la dynamique de la vie.

    Les mythes fonctionnent comme les contes, avec des images, des figures et une structure qui nous renvoient à une forme d'inconscient collectif. Ils sont à la base de nos différentes cultures, qu'ils rattachent à un fond commun universel. [...] Ils nous révèlent les fondements de la vie sous ses différentes formes, soulignant les liens entre désir et violence, entre force de vie et force de mort. Ils dévoilent les ressorts cachés de la toute-puissance et ses conséquences désastreuses. Souvent ils parlent de chute, non pas pour nous décourager mais pour nous montrer que la chute elle-même est le temps de la fécondation et de l'accession de l'homme à sa propre humanité.

    Le mythe est donc un récit, fondateur et « instaurateur » comme le qualifie Paul Ricœur. Il explique le sens des rites et des interdits, l'origine de la condition des hommes. Anonyme, collectif et tenu pour vrai, sa force le rend supérieur aux autres types de récits. Et ayant une fonction socioreligieuse, il est un intégrateur social, « le ciment du groupe, auquel il propose des normes de vie et dont il fait baigner le présent dans le sacré ».

     

     


  • La parole dans les sociétés orales

    sociétés orales

    Parole ordinaire / parole sacrée

    La parole dans les sociétés orales est sacrée. Cela nous renvoie à la notion biblique de " verbe ", fondement de toutes les civilisations : " Au commencement était le verbe ". C’est un mode de communication très sérieux et important dans la vie tribale quotidienne. On distingue deux types de parole : la parole ordinaire et la parole sacrée. Parole ordinaire ne veut pas dire parole simple. Au contraire, elle est très élaborée : images verbales, métaphores, citations de proverbes, aphorismes, images sonores ... François N’SOUDAN dans son essai sur le peuple eYe du Sud-Togo fait lui aussi cette même observation : " Dans la société eYe, la parole ne se trouve pas réduite à l’état de moyen, c’est un système de codes oraux très complexes. ". Il existe dans la vie de tous les jours un art de la conversation et les bons " parleurs " ont une réputation qui va au-delà des frontières de son village. La parole rituelle et sacrée est un mode formalisé de la parole courante. Elle se caractérise par une prosodie spéciale, une forme archaïque ou une langue secrète (la langue des initiés). Cette parole joue un grand rôle dans la sphère politique, religieuse et mystique. La parole est la " trame du monde " et un usage déconsidéré peut entraîner des troubles graves. Le caractère sacré de la parole se retrouve dans des pratiques qui peuvent paraître anodines mais qui sont en réalité remplies de sens. Fumer une pipe, mastiquer des noix de cola ou se servir de cure-dent associés à la macération de la substance végétale dans la bouche auraient chez les eYe des effets sur la parole. La manipulation de la parole est très délicate. Pour qu’elle conserve son " pouvoir magique ", il faut respecter certaines règles et interdits.

    Règles et interdits

    Les interdits verbaux peuvent concerner le lieu et le moment : on ne doit pas proférer certaines paroles le jour ou à telle période de l’année. Ils peuvent également être relatifs au vocabulaire, au sexe de celui qui parle, à son âge... D’un point de vue plus linguistique, ils peuvent concerner le débit de parole, la prononciation. Par exemple, il est interdit (comme dans la plupart des sociétés) de désigner directement la fonction excrétive, d’évoquer un animal dangereux (surtout le serpent) ou d’évoquer un événement pénible comme la mort de peur qu’il ne se réalise. L’interdit peut être de prononcer le nom des personnes comme l’explique Pierre ALEXANDRE Car prononcer le nom de quelqu’un, " c’est s’assurer une emprise magique sur lui ". Dans les sociétés orales, on apprend à bien parler, mais avant tout on apprend quand parler et quand se taire. Car comme le dit un proverbe swahili : " Parler est bon, se taire est bon " . C’est particulièrement au moment où sa sexualité se développe que l’enfant apprend ce qu’il peut dire et surtout à qui. Catherine KERBRAT-ORECCHIONI dans le tome III des Interactions verbales réserve un chapitre à " la place de la parole dans le fonctionnement de la société ". Elle distingue les " peuples volubiles " dont nous faisons partie et " où le silence est perçu comme menaçant [...] où l’ensemble de la vie sociale est médiatisée par le langage, et où le pouvoir repose en grande partie sur le don de la parole " et les " peuples faiblement communicatifs " où le silence est valorisé car possédant des " vertus interlocutives supérieures ". C’est le cas des Lapons ou des Finlandais. Les sociétés orales africaines seraient donc au carrefour de ces deux peuples puisque " le crédit qu’elle concède au silence et au secret résulte en partie de la nécessité de se prémunir contre cet aspect négatif du verbe " . On retrouve cette idée dans un article de Geneviève Calame Griaule : " le conteur traditionnel ; style et répertoire " in La revue du livre pour enfants n°181/182. " Traditionnellement, l’échange est interdit entre parents et enfants de sexe opposé à partir du moment où ceux-ci deviennent nubiles : il en est de même pour les frères et sœurs et aussi pour le gendre et les beaux-parents. Les Dogons [...] disent que ce serait une sorte d’inceste symbolique ". Ces interdits et ces règles soulignent bien l’importance et le poids de la parole qui est à manier avec beaucoup de précautions.

    Parole et action

    La Parole n’est pas à prendre " à la légère ", elle n’est pas seulement mot, son, elle est aussi et avant tout action. John Austin dans How to do things with words en 1962, expose sa théorie sur les énoncés performatifs. D’après lui, certaines expressions font office à elles seules d’actes. Les expressions " je te baptise " ou " je vous marie " sont des actes. Le seul fait de les prononcer réalise l’action. Dire " je vous marie " rend les deux fiancés mari et femme devant Dieu. Ces énoncés performatifs sont assez rares. En revanche, Austin insiste sur la force illocutoire de la parole selon laquelle en prononçant un énoncé, on lui attribue une force ou une valeur. Nous pensons que la Parole dans les sociétés orales si elle n’agit pas tout à fait comme des énoncés performatifs a une très grande valeur illocutoire. A ce sujet, N’SOUDAN dit du peuple eYe que : " La parole n’est pas un mode passif de communication mais un mode d’action par excellence. Parler, c’est d’abord agir. La parole se livre comme une arme redoutable et on l’utilise ; il en est ainsi des débats tant publics que privés. " La force et le pouvoir sont très présents avec cette image d’arme et de combat. Chez les eYe, ce combat ou joute verbale est appelé Halo et réunit deux communautés en conflit qui se livrent une guerre verbale. Le but de ces combats est de ridiculiser l’adversaire par la parole. Ces joutes réduisent les tensions et évitent le recours aux vraies armes. La parole a ici une valeur de catharsis. Tuer par les mots n’est pas vraiment tuer, ce n’est que perpétrer une mort symbolique. Par ailleurs, tout en réduisant les tensions, la parole soude le peuple.

    Parole et unité culturelle

    La langue est empreinte du passé et de l’histoire d’un peuple. On peut déterminer grâce aux emprunts les populations qui sont entrées en contact avec un peuple donné. Ce passé commun crée la conscience dans le présent d’appartenir à un même groupe social avec une pensée et une manière d’agir communes. La langue est une des conditions d’appartenance à un groupe. Est étranger au groupe celui qui ne parle pas la langue ou qui la parle mal. En France, l’unification de l’Etat s’est faite tout d’abord par la langue avec la doctrine jacobine : " une langue, une nation ". Chez les eYe, c’est l’élément fondamental d’unité : tous les peuples eYe s’expriment en eYegbe avec quelques variantes dialectales. La parole a valeur d’intégration sociale. Elle est publique et orale, ce qui exclut toute notion d’anonymat. Celui qui parle s’implique dans ce qu’il dit et implique aussi le groupe auquel il appartient. La parole est collective, elle est l’expression de la réalité sociale.

    Parole et savoir

    La parole dans les sociétés orales a également une valeur éducative. L’éducation quotidienne passe par les contes et les proverbes, leçons de choses à fin moralisatrice. C’est aussi la parole de l’initiation qui fait de l’enfant un homme. La parole véhicule les valeurs traditionnelles de la société. Elle communique les connaissances techniques et ethniques. Elle est aussi le véhicule des valeurs religieuses. Elle facilite l’intégration des novices dans une nouvelle société religieuse et leur donne une culture spécialisée. Elle les fait membres d’un groupe. Mais si elle est pédagogique, la parole est aussi une marque de connaissance et de sagesse. C’est pourquoi les chefs et les notables doivent exceller dans l’art de parler. Par leur élocution originale et articulée, ils représentent la norme de la société. Chez les eYe, comme dans de nombreuses sociétés, bien parler c’est faire preuve de culture.

    Parole et gestes

    La parole dans le sens métonymique de communication et pas uniquement de production orale n’existe pas que dans les mots mais également dans la musique, la danse, l’expression du corps, dans les gestes. " Mais tout est parole chez nous. Si quelqu’un lève la main c’est une parole, et il en va de même pour la musique, le chant et la danse qui ne rythme pas seulement le conte mais toute la vie ! " Gabriel KINSA, La croix La kinésique, production des gestes, est liée à la production de la parole. Et tout comme la parole, elle connaît des interdits. Certains gestes sont rejetés comme montrer du doigt par exemple. Dans certaines circonstances, le geste se substitue à la parole. Dans le sud Cameroun, les chiffres ne doivent pas être prononcés. Ils sont remplacés par une onomatopée et le geste représentant le chiffre. Dans la plupart des cas, le geste aide à formuler la pensée. Les gestes se font de la main droite, ceux de la main gauche étant considérés comme impolis. Dans certaines sociétés, le geste étant un auxiliaire à la communication, celui qui parle sans aucun geste est considéré comme très intelligent. Au contraire, quelqu’un qui parle avec beaucoup de gestes est " léger ". Peut également être considérée comme un geste la posture du corps, " vraie parole ". Pour Zahan, " la parole que l’on parle assis, c’est la parole de la vérité ; la parole que l’on parle en se promenant, c’est une supposition, la parole que l’on parle couché, c’est une confidence. " De même dans certaines sociétés, on se dispute debout mais on se réconcilie assis.

    La parole et la tradition

    La parole est résolument traditionnelle puisqu’elle prend ses racines dans l’histoire profonde de la société. Mais elle est aussi tournée vers le futur puisqu’elle tend à transmettre ce patrimoine culturel. La parole est dualiste, elle existe dans une double perspective : l’échange immédiat et la tradition, conserver et évoluer. Elle affiche donc les même objectifs que l’écrit dans nos sociétés, conserver et transmettre. Mais le code écrit est-il vraiment absent de ces sociétés orales ?

     

    Source : www.contesafricains.com

    A lire aussi : La littérature orale

                       Le statut de la parole

     

     


  • PAROLE ET SACRÉ :

     

    « Le sacré est ce qui donne la vie et ce qui la ravit », Roger Caillois.

     

    Parole et sacréDans les sociétés traditionnelles, le Cosmos, défini comme l’espace organisé et habité, s'oppose au Chaos, donc ce qui ne l'est pas. Dès qu'il devient consacré, le Chaos se transforme en Cosmos, ainsi tout Espace consacré devient sacré, et par conséquent « fort » et « significatif ».

    Les définitions de l’Espace sont multiples, et cela varie selon l'angle duquel cette notion est pensée. Le premier philosophe qui a tenté de cerner la notion d’Espace est Aristote, il en donne une première approche dans son livre « Physique ». Ici, l'Espace est Lieu :

    " Il semble que ce soit une grande et difficile question de comprendre le lieu, parce qu'il donne l'illusion d'être la matière et la forme, et parce que le déplacement du corps transporté se produit à l'intérieur d'une enveloppe qui reste en repos ; le lieu paraît en effet pouvoir être une autre chose, intermédiaire, indépendante des grandeurs en mouvement. A cela contribue l'apparence que l'air est incorporel ; le lieu parait être, en effet, non seulement les limites du vase, mais ce qui est entre ces limites, considéré comme vide. D'autre part, comme le vase est un lieu transportable, ainsi le lieu est un vase qu'on ne peut mouvoir."

    Résumons ! L'Espace est la limite de ce qui enveloppe un corps, mais une limite immobile puisque ce même corps peut changer de lieu alors que ce dernier est nécessairement immobile. L'Espace est avec le corps qui l’occupe mais sans être ce corps, il le rend perceptible et situable. La parole est donc un espace, puisqu'elle donne forme au langage, qui exprime la pensée humaine. Elle est la limite de son enveloppe, puisque sans elle, la pensée humaine ne peut être communiquée ou partagée. La langue et le langage peuvent changer, mais la parole est immobile. Et comme tout espace, cette dernière devient sacrée quand elle est consacrée, et c'est pour cela que l'on parle de « parole sacrée » et de « parole profane ».

    Dans la tradition, la parole est la faculté de la médiation sacrée, elle se rapproche du souffle divin, le pouvoir créateur de Dieu. La voix est ainsi le premier instrument de communication du sacré, comme l'indique Georges Bertin, en faisant allusion au symbolisme de Babel : « La récitation orale des textes sacrés était d’ailleurs un acte herméneutique, parole vivifiante. C’est ainsi que dans l’Ancien Testament, la pluralité des langues fut instituée par Dieu en châtiment de la démesure des hommes ». Le pouvoir de la parole est aussi exposé à travers le mythe d'Orphée, ce premier poète est capable, grâce à un chant enchanteur et enchanté, d'attirer vers lui les forêts et les animaux sauvages, les rochers et d'autres créatures infernales. Cette image met en perspective la dimension magique et sacrée de la parole, ainsi que son pouvoir évident sur les êtres et les choses.

    Dans « l'Inde ancienne », les brahmanes sont ceux qui tiennent parole et sont tenus par la parole,  et les yogins sont ceux qui retiennent leur parole et sont tenus par le silence. Les premiers sont installés dans le monde qu'ils veulent fortifier et reproduire, ils ouvrent les yeux sur lui et leur force réside dans la pluralité. Les seconds fuient ce monde, ils ferment les yeux et vivent dans le vide.

    La dimension magique de la parole est fortement présente en Afrique, elle constitue une véritable « civilisation du verbe ». Louis-Vincent Thomas explique que dans « l’essence du monde négro-africain résidant dans la force dont la vie et le verbe actualisent les manifestations profondes, le langage est par excellence expression de l’Etre-Force, déclenchement des puissances vitales et principe de leur cohésion ». Dans ce sens, la parole est synonyme de Force et d’univers. Sa dimension magique et son pouvoir sur les êtres et les choses font d'elle le véritable Cosmos.

    C'est avec cette parole sacrée que se sont formés les mythes. Une paroles faite de mots éternels, plus vivants que toutes les créations de l'homme, une parole qui a permis la conception de l'image de la création du monde et de la vie, une image qui est, elle-même, parole, comme l'affirme Roland Barthes dans son livre Mythologies : « Qu’est ce qu’un mythe, aujourd’hui ? Je donnerai tout de suite une première réponse très simple, qui s’accorde parfaitement avec l’étymologie : le mythe est une parole ».

     

    Dans les prochains cours : le sacré, le mythe, la culture.