• Parole et sacré

    PAROLE ET SACRÉ :

     

    « Le sacré est ce qui donne la vie et ce qui la ravit », Roger Caillois.

     

    Parole et sacréDans les sociétés traditionnelles, le Cosmos, défini comme l’espace organisé et habité, s'oppose au Chaos, donc ce qui ne l'est pas. Dès qu'il devient consacré, le Chaos se transforme en Cosmos, ainsi tout Espace consacré devient sacré, et par conséquent « fort » et « significatif ».

    Les définitions de l’Espace sont multiples, et cela varie selon l'angle duquel cette notion est pensée. Le premier philosophe qui a tenté de cerner la notion d’Espace est Aristote, il en donne une première approche dans son livre « Physique ». Ici, l'Espace est Lieu :

    " Il semble que ce soit une grande et difficile question de comprendre le lieu, parce qu'il donne l'illusion d'être la matière et la forme, et parce que le déplacement du corps transporté se produit à l'intérieur d'une enveloppe qui reste en repos ; le lieu paraît en effet pouvoir être une autre chose, intermédiaire, indépendante des grandeurs en mouvement. A cela contribue l'apparence que l'air est incorporel ; le lieu parait être, en effet, non seulement les limites du vase, mais ce qui est entre ces limites, considéré comme vide. D'autre part, comme le vase est un lieu transportable, ainsi le lieu est un vase qu'on ne peut mouvoir."

    Résumons ! L'Espace est la limite de ce qui enveloppe un corps, mais une limite immobile puisque ce même corps peut changer de lieu alors que ce dernier est nécessairement immobile. L'Espace est avec le corps qui l’occupe mais sans être ce corps, il le rend perceptible et situable. La parole est donc un espace, puisqu'elle donne forme au langage, qui exprime la pensée humaine. Elle est la limite de son enveloppe, puisque sans elle, la pensée humaine ne peut être communiquée ou partagée. La langue et le langage peuvent changer, mais la parole est immobile. Et comme tout espace, cette dernière devient sacrée quand elle est consacrée, et c'est pour cela que l'on parle de « parole sacrée » et de « parole profane ».

    Dans la tradition, la parole est la faculté de la médiation sacrée, elle se rapproche du souffle divin, le pouvoir créateur de Dieu. La voix est ainsi le premier instrument de communication du sacré, comme l'indique Georges Bertin, en faisant allusion au symbolisme de Babel : « La récitation orale des textes sacrés était d’ailleurs un acte herméneutique, parole vivifiante. C’est ainsi que dans l’Ancien Testament, la pluralité des langues fut instituée par Dieu en châtiment de la démesure des hommes ». Le pouvoir de la parole est aussi exposé à travers le mythe d'Orphée, ce premier poète est capable, grâce à un chant enchanteur et enchanté, d'attirer vers lui les forêts et les animaux sauvages, les rochers et d'autres créatures infernales. Cette image met en perspective la dimension magique et sacrée de la parole, ainsi que son pouvoir évident sur les êtres et les choses.

    Dans « l'Inde ancienne », les brahmanes sont ceux qui tiennent parole et sont tenus par la parole,  et les yogins sont ceux qui retiennent leur parole et sont tenus par le silence. Les premiers sont installés dans le monde qu'ils veulent fortifier et reproduire, ils ouvrent les yeux sur lui et leur force réside dans la pluralité. Les seconds fuient ce monde, ils ferment les yeux et vivent dans le vide.

    La dimension magique de la parole est fortement présente en Afrique, elle constitue une véritable « civilisation du verbe ». Louis-Vincent Thomas explique que dans « l’essence du monde négro-africain résidant dans la force dont la vie et le verbe actualisent les manifestations profondes, le langage est par excellence expression de l’Etre-Force, déclenchement des puissances vitales et principe de leur cohésion ». Dans ce sens, la parole est synonyme de Force et d’univers. Sa dimension magique et son pouvoir sur les êtres et les choses font d'elle le véritable Cosmos.

    C'est avec cette parole sacrée que se sont formés les mythes. Une paroles faite de mots éternels, plus vivants que toutes les créations de l'homme, une parole qui a permis la conception de l'image de la création du monde et de la vie, une image qui est, elle-même, parole, comme l'affirme Roland Barthes dans son livre Mythologies : « Qu’est ce qu’un mythe, aujourd’hui ? Je donnerai tout de suite une première réponse très simple, qui s’accorde parfaitement avec l’étymologie : le mythe est une parole ».

     

    Dans les prochains cours : le sacré, le mythe, la culture.