• Littérature

    La littérature est art et langage : c'est un système esthétique - le texte - impliquant un registre rhétorique de genres, de styles ou de figures et un régime socio-historique - l'archi-texte - impliquant un récit constitutionnel (ou un parcours), qui inclut lui-même un discours institutionnel. Qui dit art dit technique ; qui dit langage dit grammaire; qui dit technique et grammaire dit tekhnê (le savoir-faire) : poiêsis (faire) et physis (nature). Le système esthétique fait de la littérature un art ; le régime socio-historique en fait un métier : la littérature devient un art quand les artisans deviennent des artistes; mais c'est l'origine de l’ (œuvre d') art qui est l'origine des artistes.


    Martin Heidegger : «L'origine de l'œuvre d'art» dans Chemins qui ne mènent nulle part. Gallimard nrf (Classiques de la philosophie). Paris; 1962 [1950] (320 - 2 p.) [p. 11-68].

    Sans admettre qu'il faille parler d'art chez les Grecs ou chez les Égyptiens et surtout avant (aux temps préhistoriques), il faut mentionner que pour les Grecs de l'Antiquité, la poésie est une technique qui s'accompagne de musique ; seule la poésie est un « art », qu'elle prenne la forme du poème ou de la tragédie, du dithyrambe ou de l'épopée. La poésie et la musique - et la poésie est une sorte de musique chantée, de chant - sont à l'âme ce que la gymnastique est au corps. Quand Platon parle d'expulser les poètes de la Cité, c'est parce qu'ils ne sont pas assez « artistes », c'est-à-dire pas assez philosophes - et peut-être pas assez athlètes (dans leur imitation).

     

    Au Moyen-âge, la poésie continue de dominer et elle gagne même d'autres formes comme le roman; mais c'est seulement à la Renaissance, au moment où l'artiste remplace l'artisan et où l'écrivain devient un artiste, que la littérature accède à l'art, sous la poussée même du roman; elle résulte de la rencontre de la graphie et de la typographie, de l'écriture et du livre, livre qui avait pourtant précédé l'invention de l'imprimerie. Cela veut dire qu'il n'y a pas vraiment de littérature orale, mais une littérature écrite d'expression orale (au Moyen-âge).


    Alain Viala. Naissance de l'écrivain....
    L. Febvre et H.J. Martin. L'apparition du livre. Albin Michel.
    A. M. Boyer. Le livre. Larousse.
    Études françaises, Volume 18, numéro 2 : « L'objet-livre ».
    [Pour des références complètes, cf. Bibliographie de pragmatique sur ce même site].

     

    Source : http://azadc.blogspot.com/


  • Terme littératureLe terme « littérature » n'a pas toujours eu la même signification que l'on lui (re)connaît aujourd'hui :

    1°) Au XVIe siècle, « littérature » voulait dire « culture », culture du lettré, celui quia des lettres, de la culture, du savoir : érudition ; c'est la connaissance des lettres mais aussi des sciences ; c'est une somme de lectures. Ainsi, disait-on à l'époque, « avoir de la littérature » : c'est posséder un savoir.

    2°) Au XVIIIe siècle, « littérature » désignait la condition de l'écrivain, soit :
    a) le monde des lettres ;
    b) la carrière des lettres ;
    c) l'industrie des lettres.
    C'est un devenir : le devenir-artiste de l'écrivain.

    3°) À partir du XIXe siècle, « littérature » devient plus ou moins synonyme de « belles-lettres » (les lettres et les humanités [étude de la langue et de la littérature grecques et latines] par rapport aux sciences qui s'autonomisent) :
    a) c'est l'art de l'expression intellectuelle (éloquence, poésie) ;
    b) c'est l'art d'écrire des œuvres qui durent ;
    c) c'est l'art d'écrire par rapport aux autres arts ;
    d) c'est l'art d'écrire par rapport aux autres techniques d'écriture (théologie, philosophie, science, etc.).

    D'une part, c'est une activité (une existence technique) ; d'autre part, c'est un être (une essence esthétique) plutôt qu'un état (la condition ou la qualité de l'homme de lettres en sa culture et en son érudition). [Cet être met en intime relation toute œuvre littéraire et celui qui ce trouve dans sa solitude, car « celui qui vit dans la dépendance de l’œuvre, soit pour l’écrire, soit pour la lire, appartient à la solitude de ce qui n’exprime que le mot être : mot que le langage abrite en le dissimulant ou fait apparaître en disparaissant dans le vide silencieux de l’œuvre » (Maurice Blanchot, L’espace littéraire, p.11)]

    [Faire de la littérature c’est donc « Écrire », et « écrire, c’est entrer dans l’affirmation de la solitude où menace la fascination. C’est se livrer au risque de l’absence de temps, où règne le recommencement éternel. C’est passer de Je au Il, de sorte que ce qui m’arrive n’arrive à personne, est anonyme par le fait que cela me concerne, se répète dans un éparpillement infini. Écrire, c’est disposer le langage sous la fascination et, par lui, en lui, demeurer en contact avec le milieu absolu {idéal}, là où la chose redevient image, où l’image, d’allusion à une figure, devient allusion à ce qui est sans figure et, de forme dessinée sur l’absence, devient l’informe présence de cette absence, l’ouverture opaque et vide sur ce qui est quand il n’y a plus de monde, quand il n’y a pas encore de monde » (Maurice Blanchot, L’espace littéraire, p.27).]

    La littérature se trouve alors réduite à l'écriture, voire à l'écriture de fiction (depuis la Révolution française) et, de plus en plus, à la fiction romanesque.

    4°) Au XXe siècle, Escarpit considère que la littérature est l'ensemble de la production littéraire incluant les faits littéraires : c'est donc un objet d'étude, un corpus d'œuvres consacrées, c'est-à-dire enseignées par les intellectuels, professeurs ou autres (selon Barthes).

    Robert Escarpit dans Le littéraire et le social, p. 259-272 et dans Littérature et genres littéraires, p. 7-15.


  • ArchitexteA) Le discours institutionnel

    Le discours institutionnel est la conception du parcours littéraire (ou du récit constitutionnel) qui est proposée par l'esthétique transcendante de l'agréable (ou du bon) et du beau, l'esthétique du goût et du plaisir constitutive d'une métaphysique de l'art jusqu'en histoire et en critique littéraire.

    Jean-Marc Lemelin. «La communication de l'art ou De l'esthétique» dans La signature du spectacle ou de la communication. Ponctuations II. Ponctuation. Montréal; 1984 (208 p.) [p. 17-58].

     

     

    1) L'esthétique littéraire

    Nous pouvons proposer que, chez les Grecs de l'Antiquité, l'esthétique est le lien entre la technique et la métaphysique : elle est le devenir-technique de la métaphysique et le devenir-métaphysique de la technique; elle est inséparable de la dialectique et ainsi de la politique, qui est l'art des arts. La dialectique est l'art -- la tekhnê -- de dialoguer et de persuader, de convaincre et donc de vaincre l'adversaire; elle est mise en scène dans et par l'éloquence; aussi a-t-elle les pieds dans la rhétorique, qui est l'art du discours en général et qui inclut la poétique, celle-ci étant alors l'art -- le métier et ses règles -- d'un discours comme la poésie (à ne pas confondre avec le poème, puisqu'on la retrouve autant dans la tragédie et l'épopée).

    Au Moyen-Âge, la dialectique et la rhétorique font partie du trivium, avec la grammaire; le trivium et le quadrivium (arithmétique, géométrie, astronomie et musique) constituent les sept arts libéraux enseignés dans les facultés des arts. Au XVIIe siècle, la rhétorique commence à être dissociée de la logique (l'art de penser) et de la grammaire (l'art de parler et d'écrire) par la modernité de la pensée cartésienne; elle n'est plus un art (une pratique) et elle devient une théorie des figures de discours ou de style : elle est maintenant réduite à une théorie des tropes, à une tropologie, à une rhétorique restreinte, alors qu'elle avait été généralisée jusqu'à l'époque des collèges classiques. Au XVIIIe siècle, par Kant, et au XIXe, par Hegel, la dialectique est déplatonisée -- avant d'être marxisée, par Marx, Engels, Lénine et Staline : la politique moderne (ou postmoderne) est sans doute l'échec de la dialectique des Anciens...

    Revenons à l'esthétique comme discours qui constitue et institue l'art comme art, la littérature comme littérature. Pour l'esthétique, l'art a une essence, une valeur en soi, une valeur d'usage; cette valeur (ou son concept ontologique), c'est la beauté comme synonyme de vérité et de liberté; en somme, la beauté est un concept éthique avant d'être esthétique. L'esthétique est à l'art ce que l'épistémologie est à la science : elle en est la réification, la réduction à une chose, à un artefact.

     

    Supplément de cours : Introduction à l'archi-texte.


  • Esthétique1°) Pour l'esthétique objective, il y a une réalité extérieure à la pensée, une réalité objective dont l'art (la littérature) est le reflet : plus le reflet est exact, plus il y a réflexion passive ou active de la réalité par une œuvre, plus celle-ci est réaliste, plus elle a de la valeur. À l'esthétique objective du contenu (thématique) conduisant au réalisme, correspond l'esthétique objective de l'expression (stylistique) conduisant au formalisme. La forme (l'expression) et le fond (le contenu) sont les catégories duelles fondamentales de l'esthétique (objective). Le réalisme socialiste, c'est-à-dire la soi-disant esthétique marxiste est une esthétique objective du contenu.

    Avner Ziss. Éléments d'esthétique marxiste. Éditions de Moscou [surtout «Petit vocabulaire esthétique», p. 280-300].

    2°) Pour l'esthétique positive, l'art est homologue (plutôt qu'analogue), comme sujet, à l'objet qu'est le monde ambiant ou environnant. Le développement de l'art est alors le développement conceptuel de l'histoire, de l'esprit, de la pensée. L'esthétique hégélienne -- et a fortiori l'esthétique aristotélicienne, contrairement à l'esthétique platonicienne (plutôt objective) -- est une telle esthétique positive en définissant l'art par un concept, par son propre concept (à réaliser ou à retrouver), et en séparant l'artistique et le politique tout en les réunissant dans le spirituel (l'Esprit absolu). Pour Hegel, il y a une hiérarchie des arts, du matériel au spirituel : l'art supérieur est l'art idéal et idéel, c'est l'art le plus éloigné du matériel (la matière et la nature), c'est l'art le plus raisonnable et le plus spirituel; c'est la poésie. Aux arts symboliques (la thèse) comme l'architecture, ont succédé les arts classiques (l'antithèse) comme la sculpture et, enfin, les arts romantiques (la synthèse) comme la poésie (musicale, théâtrale, littéraire). La poésie est elle-même hiérarchisée de l'épique au dramatique en passant par le lyrique : en ce sens, l'opéra de Wagner est l'art romantique par excellence. L'esthétique du jeune Lukacs (et de Goldmann) est elle aussi une esthétique positive (fondamentalement hégélienne).

    3°) L'esthétique négative qui s'inscrit dans la dialectique négative d'Adorno et de Horkheimer et qui est inspirée de la théorie critique de l'École de Francfort à laquelle les deux appartenaient, repose sur une critique (kantienne) de la raison au profit d'une éthique du jugement, mais elle n'accède pas au statut d'esthétique transcendantale du sublime comme chez Kant. Pour Adorno, l'art a valeur de vérité parce qu'il est liberté et il est la négation de la totalité (la réalité, la société, l'aliénation, le fascisme) qui est fausseté.

    4°) Pour l'esthétique subjective d'un Marcuse, l'art, comme subjectivité, a un potentiel révolutionnaire de transformation de l'objectivité.

    5°) De Nietzsche à Lyotard et à Deleuze, se développe une esthétique affirmative, pour laquelle l'art n'est pas intentions mais intensités : pouvoir d'affirmation de la libido, du désir, de la force, de la volonté de puissance; cette esthétique s'oppose à la fois à l'esthétique objective de Platon et à l'esthétique positive de Hegel, mais pas à l'esthétique négative et à l'esthétique subjective.

    L'esthétique (objective ou positive) est la philosophie spontanée (naïve, non critiquée) de la critique littéraire, qui est elle-même la philosophie spontanée de la littérature (réaliste ou formaliste). L'esthétique se retrouve ainsi dans les trois illusions de la critique littéraire dénoncées par Macherey :

    1°) L'illusion empirique (ou naturelle) -- l'illusion de l'induction, selon nous -- prend l'œuvre comme acquise et clôturée par l'ouvrage, comme un étant donné, comme un état de fait; elle ne questionne pas le corpus et elle clôture le texte en réduisant la littérature à l'écriture; elle explique l'œuvre par l'auteur individuel (l'écrivain) ou par l'auteur collectif (la société, la classe, le groupe, le sexe). Le critique empiriste se fait le complice de l'écrivain en suggérant que ce sont les auteurs et les œuvres qui font la littérature, alors que c'est la littérature -- l'art, la tradition, l'histoire, la critique -- qui fait les auteurs et les œuvres.

    2°) L'illusion normative (ou virtuelle) -- l'illusion de la déduction, encore selon nous -- corrige l'œuvre selon un modèle esthétique, éthique, idéologique; elle la soumet à une norme, à un code, à un(e)mode; elle refait l'œuvre en la restreignant à une lecture idéologique, en réduisant la littérature à l'idéologie. Expliquant l'œuvre par un lecteur naïf, le critique magistrat (journaliste) se fait alors le maître de l'écrivain.

    3°) L'illusion interprétative (ou culturelle) actualise ou réalise les deux autres illusions en une herméneutique qui met en œuvre les couples duels de catégories esthétiques ou métaphysiques : fond/forme, intériorité/extériorité, inspiration/improvisation, etc. Elle explique l'œuvre par l'œuvre, mais en postulant que l'œuvre à un sens (secret, caché) en soi et que la lecture ne fait que le découvrir, le dévoiler, le révéler (ou le trahir); le sens se trouve alors réduit à la signification. L'interprète se fait interprêtre, c'est-à-dire esclave ou disciple, voire complice, de l'œuvre même, substituant l'explicitation (herméneutique dans sa genèse et son exégèse) à l'explication (sémiotique), l'interprêtrise (psychologique) à l'interprétation (métapsychologique).

    Pierre Macherey. Pour une théorie de la production littéraire.
    Nicos Hadjinicolaou. Histoire de l'art et conscience de classe.





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