• Une méthode pour analyser les images

    Parler de l’interprétation d’une image, donc d’un ensemble de signes, c’est parler de l’herméneutique. Cette dernière ce définie comme « l’ensemble des connaissances et des techniques qui permettent de faire parler les signes et de découvrir leur sens ». « L’herméneutique engage un travail d’interprétation ; elle suppose que les signes et les discours ne sont pas transparents, et que derrière un sens patent reste à découvrir un sens latent, plus profond ou plus élevé, c’est-à-dire dans notre culture, de plus grande valeur. On interprète quand, pour une raison ou pour une autre, le sens littéral ne semble pas (ou plus) aller de soi et qu’il faut faire appel à un autre niveau de sens ». Nous pouvons penser l’herméneutique comme un dialogue, un échange permanent, entre l’intentio auctoris (l’intention de l’auteur) et l’intentio lectoris (l’intention du lecteur), dont le sujet est l’œuvre et le but est une compréhension collective de l’intentio operis (l’intention de l’œuvre).
    Une méthode pour analyser les images

    Parler de l’interprétation d’une image, donc d’un ensemble de signes, c’est parler de l’herméneutique. Cette dernière ce définie comme « l’ensemble des connaissances et des techniques qui permettent de faire parler les signes et de découvrir leur sens » (1).

    « L’herméneutique engage un travail d’interprétation ; elle suppose que les signes et les discours ne sont pas transparents, et que derrière un sens patent reste à découvrir un sens latent, plus profond ou plus élevé, c’est-à-dire dans notre culture, de plus grande valeur. On interprète quand, pour une raison ou pour une autre, le sens littéral ne semble pas (ou plus) aller de soi et qu’il faut faire appel à un autre niveau de sens » (2).


    Nous pouvons penser l’herméneutique comme un dialogue, un échange permanent, entre l’intentio auctoris (l’intention de l’auteur) et l’intentio lectoris (l’intention du lecteur), dont le sujet est l’œuvre et le but est une compréhension collective de l’intentio operis (l’intention de l’œuvre).


    L’approche contemporaine de l’interprétation, en prenant en considération les pouvoirs du lecteur, définit l’herméneutique non comme un dévoilement d’un sens préexistant ou une révélation d’une vérité, mais plutôt comme une tentative de construction d’un ou de plusieurs sens nouveaux. Pour ce faire, cette approche utilise une « lecture analytique » - qui serait au fond une « lecture explicative » - au lieu de la classique « lecture expliquée ».

    Afin d’analyser une image le lecteur doit suivre trois étapes bien définies, commençant par une approche intuitive - qui fait appel au sens plutôt qu’au raisonnement ou à la mémoire - basée sur la définition et la délimitation du contexte de ce l’on voit. Cette étape consiste à relever le cadre spatiotemporel et culturel de l’image, c’est-à-dire mentionner la date et le lieu de sa production, le mouvement culturel dans lequel elle s’inscrit, son genre, sa forme ou son thème traditionnels. Ensuite, le lecteur opère une approche iconique ou descriptive, en se basant sur sa perception, il doit se poser la question : « qu’est-ce que je voit ? » et décrire ce qui est présent sur l’image. Ainsi, celui-ci se trouve face à trois types de signes :

    1- Les signes iconiques : ce sont les signes de l'image qui ont une ressemblance avec la réalité. Parmi eux, à part les formes qui apparaissent directement dans l'image, il y a aussi la composition, la lumière utilisée, les couleurs, l'échelle et l'angle de prise de vue.

    2- Les signes non iconiques : ce sont les signes qui ont un rapport arbitraire avec la réalité, par exemple : un texte ou un logo.

    3- Les signes extra-iconiques : ce sont des signes qui n'appartiennent pas directement à l'image mais plutôt au regard porté à l'image (le format, l’orientation, la forme, le cadre, le cadrage … etc.).

    La troisième et dernière étape est l’interprétation, elle est le passage d’une lecture intuitive à une lecture raisonnée. Le lecteur doit se poser la question : « qu’est-ce que j’en pense ? » et développer sa réflexion en se basant sur ses connaissances, l’interprétation est donc personnelle et varie d’une personne à une autre, et c’est pour cela que nous avons parlé d’une compréhension collective de l’œuvre.

    (1) Michel Foucault, Les mots et les choses, 1966.
    (2) Pierre Popovic, Alain Boissinot, in Paul Aron, Denis Saint-Jacques, Alain Viala, Le dictionnaire du littéraire, Paris, PUF, 2002, p. 270.


    Nous vous proposons comme exemple : Le scénario de Ben Laden : une interprétation d'un dessin de presse, par Nicole Everaert-Desmedt, disponible sur : Images Analyses.

    Notre objet d'étude est un dessin de Plantu à propos des attentats du 11 septembre, paru dans Le Monde, le 25 septembre 2001. Pour interpréter un dessin de presse, le lecteur doit connaître les événements de l'actualité, et les reconnaître dans le dessin, pour que celui-ci lui apporte en retour une connaissance nouvelle à propos de ces événements. Les faits à connaître sont indiqués dans le contexte immédiat du dessin : dans le titre principal du journal, l'éditorial ou le sommaire.

    Ici, il est question, dans le titre principal, du  « scénario américain de la guerre qui vient ». Un article, annoncé dans le sommaire, parle de « la toile financière d'Oussama Ben Laden » et note que « les indices matériels liant les kamikazes à Ben Laden restent minces ».
    Nous verrons comment ces informations du journal, utilisées par Plantu, reçoivent dans son dessin une nouvelle interprétation.

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    LE PLAN DE L'EXPRESSION

    (Le plan de l'expression est le plan matériel, le signifiant. Dans une image, le plan de l'expression est d'ordre plastique ou graphique, c'est-à-dire une disposition topologique de traits et de couleurs sur une surface).

    Nous pouvons répertorier les formes graphiques qui occupent l'espace de l'image :

    Un couple de formes, de même type et de mêmes dimensions : Deux pentagones, qui occupent chacun un tiers de la surface de l'image, l'un à gauche (représenté en volume) et l'autre à droite (en plan). [Voir image 01]

    - Une forme centrale, qui se démarque par sa couleur : Un groupe de soldats (ils sont cinq, comme les cinq côtés des pentagones), portant un drapeau. La longueur de la ligne formée par les soldats est de 3,8 cm (comme le côté le plus long des pentagones). Les soldats sont en mouvement, contrairement aux pentagones qui sont fixes. Ils se déplacent du pentagone de gauche vers celui de droite. [Voir image 02]

    Le drapeau fait partie de la form1 constituée par le groupe de soldats, par la continuité (il est porté par le premier soldat) et la couleur (alors que les autres formes de l'image sont en noir et blanc), mais en même temps, il s'en distingue (forme organique des personnages vivants vs forme géométrique de l'objet inanimé ; couleur uniforme des soldats vs couleurs spécifiques du drapeau). [Voir image 03]

    Le drapeau est au centre de l'image ; plus précisément, il vient de franchir le centre (si l'on suit le mouvement de la course des soldats), l'extrémité gauche du drapeau se trouvant sur la ligne qui coupe verticalement l'image en deux parties égales (d'une longueur de 7,8 cm). Le coin inférieur gauche du tissu du drapeau se trouve exactement au croisement des deux diagonales de l'image. [Voir image 04]

    Deux autres formes : Deux formes en rapport avec l'espace hors cadre (voir les deux coupures du bord de l'image), et en contact respectivement avec un pentagone : l'avion et l'araignée. Celle-ci présente, à la place de son corps, une autre forme identifiée comme telle : un visage humain.


    LE PLAN DU CONTENU

    (Le plan du contenu est le plan conceptuel, le signifié. On peut l'analyser à différents niveaux de profondeur, du plus concret (figuratif) au plus abstrait (thématique), en passant par un niveau intermédiaire (narratif)).

    Le niveau figuratif

    - Les contractions figuratives : Les dessins de Plantu se caractérisent par des contractions sur les trois composantes figuratives : acteurs, espaces, temps.

    - Contraction actorielle : Ben Laden est en même temps une araignée. Les soldats sont en même temps des employés qui s'enfuient du bâtiment en feu, et des insectes qui se précipitent dans la toile de l'araignée.

    - Contraction spatiale : Deux espaces qui, en réalité, n'ont rien de commun (le bâtiment du Ministère américain de la Défense à Washington et l'Afghanistan où est supposé se cacher Ben Laden) sont rapprochés dans le dessin par leur taille et leur forme : ce sont deux Pentagones. Dans une seule et même course (on pourrait presque dire d'un seul pas), les soldats sortent d'un Pentagone pour se précipiter dans l'autre.

    - Contraction temporelle : Tout se passe en même temps : le crash de l'avion, la fuite des occupants du bâtiment, l'assaut du commando et le guet de l'araignée. Et ce qui ne se passe pas encore est imminent : le premier soldat du commando n'a plus qu'un pas à faire pour atteindre la toile...

    - Les configurations ou motifs :

    (Un motif est un événement type, répondant à un domaine d'expérience. Exemples de motifs : courses dans un supermarché, repas au restaurant, mariage, cours, voyage, pause dans le travail, crash aérien, assaut d'un commando, toile d'araignée. Expliquons ce dernier exemple, appartenant au domaine d'expérience de la vie des insectes : nous savons que l'araignée tisse sa toile, puis attend sa proie à l'écart, reliée à sa toile par un fil ; la proie se jette aveuglement dans la toile, d'où elle a peu de chances de s'échapper... Connaissant le "motif", nous nous attendons à ce que les choses se passent selon un ordre habituel).

    Le dessin présente trois motifs :

    1. L'attentat suicide aérien
    2. La toile d'araignée
    3. L'assaut d'un commando

    Ces trois motifs s'enchaînent de façon linéaire dans le dessin, de gauche à droite : fuyant leur Pentagone attaqué (motif n. 1), les Américains se précipitent à l'attaque du Pentagone de Ben Laden (motif n. 3), sans se rendre compte que ce Pentagone est une toile d'araignée dans laquelle ils vont se prendre (motif n. 2).

     

    Le niveau narratif

    - La structure narrative :

    (Pour dégager la structure narrative, nous observons la situation finale d'un récit, et nous recherchons la situation initiale correspondante, c'est-à-dire contraire (qui présente un point commun et une différence). Nous observons ensuite comment se passe la transformation de l'une à l'autre. Un récit peut présenter une structure narrative complexe, en épisodes successifs. Dans ce cas, la situation finale d'un premier épisode est la situation initiale d'un deuxième épisode).

    Le récit se déroule en deux épisodes successifs. [Voir image 05]

    (Un épisode est un récit (répondant à la structure : situation initiale, transformation, situation finale), et en même temps un élément d'un récit qui l'englobe).

    La transition entre les deux épisodes se fait par le mouvement de course des soldats, qui peut être interprété à la fois comme fuite (situation finale du premier épisode) et comme assaut (situation initiale du deuxième épisode).

    - La relation des anti-sujets :

    (Les anti-sujets sont des sujets qui, pour réaliser leur programme narratif, sont amenés à s'opposer l'un à l'autre. Dans la logique des anti-sujets, si l'un réussit, l'autre échoue).

    Ben Laden et les Américains sont des anti-sujets : chacun des deux sujets cherche à prendre l'autre comme objet.

    - Le parcours narratif des Américains comprend deux étapes : un programme narratif principal (capturer Ben Laden) et un programme narratif d'usage (s'emparer du Pentagone de Ben Laden).

    (Le parcours narratif d'un sujet opérateur est la suite hiérarchisée de ses programmes narratifs. En effet, pour réaliser son programme narratif principal, il arrive le plus souvent qu'un sujet doive passer par des étapes préalables, appelées programmes narratifs d'usage).

    (Un programme narratif est une action par laquelle un sujet opérateur transforme un état (son propre état ou celui d'un autre sujet, dit sujet d'état). L'état d'un sujet se définit par sa relation de jonction (disjonction ou conjonction) avec un objet).


    Le parcours narratif de Ben Laden est plus complexe. Pour prendre les Américains, il leur tend un piège. Il a élaboré toute une stratégie. Son parcours narratif se déroule en trois étapes : pour prendre les Américains, il les pousse à venir attaquer son Pentagone ; et pour provoquer cette riposte, il attaque tout d'abord - ou, plus exactement, il fait attaquer par les kamikazes - le Pentagone des Américains. Ben Laden se positionne donc en sujet manipulateur à l'égard des Américains et de l'avion.

    (Un sujet manipulateur fait agir un autre sujet).

    Alors que l'article accompagnant le dessin considère que « les indices matériels liant les kamikazes à Ben Laden restent minces », Plantu nous invite à les mettre en rapport. En effet, le parcours du regard, qui suit le mouvement dans le dessin et passe par la double coupure du cadre, fait la liaison entre Ben Laden (situé hors du cadre) et l'avion (venu du hors-cadre). [Voir image 06]

    Quand les Américains toucheront la toile, au lieu de s'emparer de celle-ci (objet), ils tomberont dans le piège, donc, en quelque sorte, ils se donneront eux-mêmes comme objet à la toile. Celle-ci est une émanation de l'araignée Ben Laden, un attribut représentant son savoir-faire et son pouvoir-faire, donc un adjuvant qui fait partie de la sphère de l'actant sujet Ben Laden.

    (Un adjuvant est un acteur qui fait partie de la sphère de l'actant sujet, et figure le pouvoir-faire et/ou le savoir-faire nécessaires au sujet pour réaliser son parcours narratif).

     

    Le niveau thématique

    Les deux Pentagones représentent des valeurs contraires. Le Pentagone 1, symbole même de la puissance militaire des Américains, s'oppose à la fragilité de la toile d'araignée :

    PUISSANCE <-------------------------> FRAGILITE


    Mais la puissance est niée par l'attaque de l'avion (non-puissance), et la fragilité n'est qu'apparente puisque la toile se révèle être un piège (non-fragilité).

    Nous pouvons tracer le parcours ci-dessous sur le carré sémiotique :

    (Le carré sémiotique est élaboré à partir d'un axe sémantique (horizontal) sur lequel s'inscrivent deux termes contraires ; chacun de ces termes projette (en diagonale) son contradictoire ; et le contradictoire de chacun des termes de départ implique (axe vertical) l'autre. Sur le carré ainsi construit, on peut suivre un parcours thématique allant de l'affirmation d'une valeur à sa négation, qui implique l'affirmation de la valeur contraire).

    Schéma01


    Le Pentagone 1 est l'emblème de la puissance militaire américaine
    Le Pentagone 1 attaqué n'est pas aussi puissant qu'il ne paraissait.
    Fragilité apparente du Pentagone 2, qui n'est qu'une toile.
    La toile n'est pas si fragile : c'est un piège.

    Le parcours du regard dans l'image se termine sur l'occupant du Pentagone 2, qui se trouve en marge, à l'abri, inaccessible. Il détient de la puissance ; une puissance occulte, inconnue, hors cadre ; une puissance cependant suffisante pour attaquer l'emblème de la superpuissance. Ainsi, le parcours thématique de ce dessin nous conduit d'une puissance établie à une puissance cachée.


    Conclusion:

    Plantu nous donne une interprétation de l'actualité qui s'écarte des titres du journal. Notre analyse au niveau narratif, en mettant en évidence le rôle de sujet manipulateur joué par Ben Laden, nous a fait comprendre qu'il s'agit non pas d'un « scénario américain » - comme dit le titre principal du journal -, mais bien du scénario de Ben Laden. Suivant le parcours du regard dans l'image, en tenant compte de la double coupure du cadre, nous comprenons que, selon Plantu, les indices matériels qui lient les kamikazes à Ben Laden ne sont pas « minces » - comme dit le journal -, mais évidents.


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