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  • Roger V

    Le jeu des noms : de l’onomastique chez Roger Vailland

    «  Il est vrai que j’ai avec les noms propres un rapport qui m’est énigmatique, qui est de l’ordre de la signifiance, du désir, peut-être même de la jouissance. La psychanalyse s’est beaucoup occupée de ces problèmes et l’on sait très bien que le nom propre est, si je puis dire, une avenue royale du sujet et du désir. » Roland Barthes 1

     

    Qu’est-ce qu’un personnage de roman, comment se définit-il ? De quels outils le romancier dispose-t-il pour suggérer un caractère, une personnalité, un individu ? Se poser ces questions conduit très rapidement à aborder la question du nom propre et de son rôle en littérature. C’est le propos de l’onomastique littéraire qui, nous dit Eugène Nicole 2, « a pour tâche de préciser les conditions spécifiques du fonctionnement de son objet dans le champ qui lui est propre » (celui du texte de fiction). Car le nom propre est « devenu un signe à part entière dans l’étude du texte, et en particulier du texte romanesque » et considéré comme « élément central de la sémiotique du personnage et de la typologie narrative en général » 3. Il s’agit donc de voir comment les trois fonctions du nom propre : identifier, classer, signifier, se présentent dans le texte romanesque.

    Après quelques éléments d’ordre général visant à cerner plus précisément l’objet d’une telle étude, je tenterai ici de tirer des exemples d’application de l’œuvre romanesque de Roger Vailland et notamment de ses neuf romans les plus connus 4.

    L’onomastique littéraire : objectifs et contraintes

    Ce n’est certainement pas par hasard si de nombreuses études d’onomastique littéraire portent sur le corpus de noms propres attribués à leurs personnages par des auteurs de romans réalistes ; singulièrement, Balzac, Flaubert, Maupassant, Zola ont fourni aux exégètes une matière abondante. Mais le choix des noms propres chez Proust a également suscité de nombreux commentaires, notamment ceux de Roland Barthes 5.

    «  L’être du personnage dépend d’abord du nom propre qui, suggérant une individualité, est l’un des instruments les plus efficaces de l’effet de réel. Lucien Leuwen, César Birotteau, David Copperfield doivent d’abord leur densité référentielle à ces noms complets qui miment l’état-civil », indique Vincent Jouve 6. Et pour donner à un personnage une identité plausible, rien de tel que d’emprunter un nom véritable à un annuaire, à une enseigne, voire à une personne que l’auteur a pu connaître ou croiser. « Prendre des noms existants peut sembler le comble de l’arbitraire, mais même les noms choisis au hasard d’un annuaire ne sont pas gratuits, puisqu’il s’agit de reproduire la réalité  7. Préférer l’annuaire de Paris, d’Alsace ou de Corse est un autre choix puisque le corpus subira des variations inévitables » 8, souligne Jean-Louis Vaxelaire, auteur d’une étude très complète sur le nom propre, et qui s’est également intéressé au problème des noms de fiction. « Le cas des personnages de fiction est évidemment particulier, écrit-il 9. Ils font partie d’un univers entièrement construit par un démiurge qui ne laisse probablement rien au hasard 10 ; choisir un nom dans un bottin, n’est-ce pas insuffler à son personnage une touche de réalité ? »

    Ce rapport du réel à la fiction trouve toutefois ses limites, dans la mesure où le roman n’est tout de même qu’une représentation : « Lejeune (1986 : 47-48) a noté que lorsqu’il y a des noms réels dans un roman, les lecteurs pensent y lire la vérité et non une fiction. La question de la réalité dans les œuvres de fiction est toutefois trop complexe pour être abordée ici. On peut tout de même penser à l’instar de Bakhtine que le roman n’est pas le reflet direct d’une réalité extérieure, mais sa reconstruction par l’écrivain au moyen des matériaux du langage et de l’esthétique. » 11

    Car il ne suffit pas que le nom propre affecté à un personnage soit vraisemblable, ce qui reste effectivement une exigence fondamentale pour un roman à visée réaliste. Il apparaît rapidement que ce nom est chargé de transmettre, par son origine, son aspect, sa consonance et les connotations qui vont pouvoir lui être associées, d’autres informations sur le héros qui le porte et ses rapports avec les autres personnages du livre.

    Plusieurs essayistes, dont Vaxelaire, évoquent ainsi le choix de noms « transparents » ou « signifiants » qui situent immédiatement le personnage : il en donne comme exemple les personnages de la romancière américaine Marylin French dans Bleeding Heart, Dolores (la douloureuse) et Victor (le vainqueur) 12. Ces noms dont la signification est immédiatement claire pour le lecteur sont fréquents dans la mythologie, la littérature antique (Odyssée), celle du Moyen Age et du 16e-17e siècle (Rabelais), le roman picaresque, la littérature enfantine. Le nom de Candide est un « adjectif substantivé qui garde son sens lexical descriptif d’une qualité fondamentale du personnage ». « D’après Ian Watt 13, poursuit Vaxelaire, la naissance du roman moderne se fait avec l’abandon des noms signifiants, même si certains auteurs comme Smollett ou Sterne ont perpétué cette tradition. (…) Selon Sollers, le personnage de Noirceuil chez Sade est celui qui nous introduit au cœur de la monstruosité (noir-seuil) ».

    Par la suite, la forme du nom signifiant subsiste, mais de manière moins apparente et plus complexe. Ainsi « le seul nom d’Emma Bovary signale le drame intérieur du personnage partagé entre ses aspirations à des amours romanesques (« aima ») et l’horizon borné de la vie de province (« Bovary » évoque « bovin ») , explique Vincent Jouve 14. Raskolnikov, le protagoniste de Crime et Châtiment, signifie en russe « schismatique ». Etienne, le héros de Germinal, finalement rejeté par les mineurs dont il voulait le salut, renvoie au saint du même nom, mort lapidé. » Certains noms propres peuvent aussi être symboliques à l’échelle de l’ensemble d’une œuvre : ainsi, chez Drieu La Rochelle, le prénom de Gilles désigne toujours un double de l’écrivain 15.

    La reprise de noms de personnages d’un roman dans un autre peut relever du jeu, de la complicité avec le lecteur (Kureishi), déclencher des réminiscences, des connexions (Paul Auster). Un exemple significatif est celui de Zola qui a érigé cette reprise en système pour établir les connexions entre les différents membres de la famille Rougon-Macquart. Chez Roger Vailland, certains personnages de Drôle de Jeu sont repris dans Bon Pied Bon Oeil, avec un changement d’angle – et de nom : Marat était le héros principal de Drôle de Jeu, roman de la Résistance ; dans Bon Pied Bon Oeil, après la guerre, il reprend son nom véritable et n’est plus qu’au deuxième plan ; tandis que Rodrigue, qui était son adjoint dans Drôle de Jeu, occupe la première place et conserve son nom (qui n’était donc peut-être pas un pseudonyme…)

    David Lodge, pour sa part, tire sa réflexion sur les noms propres à la fois de son expérience de romancier (exemples provenant de son livre Jeux de maux) et de ses propres lectures : « Dans un roman les noms ne sont jamais neutres. Ils signifient toujours quelque chose, ne serait-ce que leur banalité. Les écrivains comiques, satiriques ou didactiques peuvent se permettre d’être ouvertement allégoriques en nommant leurs personnages (voyez Thwackum, Pumblechook ou Pilgrim). Les romanciers réalistes préfèrent des noms quelconques pourvu qu’ils possèdent les connotations appropriées (comme Emma Woodhouse ou Adam Bede). » 16

    « Le passage tiré de Cité de verre, une des trois remarquables nouvelles qui constituent la Trilogie new-yorkaise de Paul Auster, pousse jusqu’à l’absurde la question de la connotation des noms dans les textes littéraires », poursuit Lodge. (…) « Dans la seconde histoire, Revenants, tous les personnages portent des noms de couleurs (… - Bleu, Blanc, Brun…). En utilisant ce système de dénomination manifestement artificiel, Auster réaffirme l’arbitraire du langage en l’introduisant (l’arbitraire) là où il n’a généralement pas sa place (les noms de fiction). » 17

    Eugène Nicole, pour en revenir à l’analyse des fonctions du nom propre dans le texte romanesque, voit l’acte de nomination comme un processus d’identification qui « fonde le récit et oriente la lecture dans l’expectative d’un destin » 18. L’ « écho » créé autour du nom propre est là pour rappeler le symbole d’une qualité ou une référence exemplaire.

    A l’inverse, l’absence de noms dans le « nouveau roman » ou le brouillage du sens par homonymies ou approximations contribue à l’éclatement du personnage traditionnel. Un usage ludique du nom propre qui « subvertit profondément son rôle identificatoire » (comme par exemple chez Pinget). 19

    La fonction de classement repose sur la dichotomie entre les porteurs de nom propre et ceux qui en sont dépourvus. En ce sens, le nom « fonde le roman en vérité, puisqu’il transporte l’apparence de la ‘propriété’ qu’a toujours le Nom dans l’usage courant » (Grivel) 20. L’onomastique littéraire peut ainsi utiliser les connotations affectées à certains termes et aux prénoms – et « l’ensemble de ces connotations sera reconnu par les usagers possédant le code de référence ». Il est évident notamment que les lecteurs étrangers, même s’ils maîtrisent la langue, n’ont pas forcément accès à l’ensemble des connotations que peuvent identifier les lecteurs de langue maternelle.

    Au domaine du classement appartiennent aussi les ressources alternatives du système appellatif permettant de nommer un personnage par une autre expression que son nom. Dans Le Rouge et le Noir, Mme de Rênal n’est « jamais autrement désignée que dans sa relation d’épouse », alors que Stendhal utilise quantités de formulations diverses pour évoquer Julien Sorel 21. Il en va de même pour la mère de Rodrigue, héros du roman Bon Pied Bon Oeil de Roger Vailland ; elle n’est jamais appelée autrement que « la mère de Rodrigue », indication directe de ce que ce personnage secondaire n’a d’intérêt que par son rapport au personnage principal.

    Enfin, au plan de la signification, cette fonction du nom propre ne joue « pas seulement comme un transfert des structures du code onomastique de la langue » 22. Il existe, fait observer Eugène Nicole, un rapport génétique entre le nom propre (avec son contenu sémantique) et certains autres éléments du récit de fiction (position du personnage par rapport aux autres, caractère, fonction, actes). Il en donne comme exemple la nouvelle de Balzac intitulée « Z. Marcas » où figure, dès l’ouverture du texte, l’annonce d’un destin déterminé par le nom : « Ce Z qui précédait Marcas, qui se voyait sur l’adresse de ses lettres, et qu’il n’oubliait jamais dans sa signature, cette dernière lettre de l’alphabet offrait à l’esprit je ne sais quoi de fatal. »

    Autre expert de l’onomastique littéraire, Yves Baudelle pose comme question essentielle « celle de savoir en quel lieu les noms propres font sens » 23. Le contenu sémantique des noms propres romanesques est-il le résultat d’un encodage préalable ? ou bien est-il produit par le mouvement même de l’écriture ? Il traite également de deux autres questions : « Les noms font-ils sens dans la langue ou seulement dans le texte littéraire ? (aussi bien : les noms réels sont-ils signifiants ou est-ce le privilège des noms de fiction ?) ; en matière d’interprétation enfin, est-ce au lecteur ou à l’auteur de dicter sa loi ? (en d’autres termes, toutes les lectures d’un nom fictif sont-elles légitimes ?) »

    Son objectif sera de montrer les forces contraires qui « surdéterminent » les noms propres de fiction « à chaque étape du parcours sémiotique qui va de leur genèse extrême – leur emprunt, par exemple, à quelque annuaire ou à quelque enseigne – à leur décodage. » Il se réfère pour cela aux « trois moments de l’épaississement progressif du signifié onomastique : la conception du nom, la rédaction de l’œuvre (l’écriture) et sa réception (la lecture) » 24, chacune de ces étapes faisant la synthèse de contraintes antithétiques.

    « Les noms de personnages sont ainsi écartelés entre l’univers référentiel et l’univers fictionnel, et forcément affectés, d’autre part, par l’irréductible distance qui sépare le monde du texte du monde du lecteur » 25.

    Dans la première étape, celle de la conception du nom, « ce choix initial répond toujours à une intention de sens », or l’écrivain ne peut que s’appuyer sur les significations virtuelles du système onomastique. Baudelle constate une opposition entre l’onomastique réelle (où la signification des patronymes est opaque et arbitraire) et l’onomastique littéraire, « la fiction soumettant les noms propres à un double processus de sémantisation et de motivation qui instaure une relation de redondance entre les signifiés du nom et les signifiés textuels du personnage qui le porte » 26.

    Dans son choix initial, le romancier doit affronter deux écueils opposés : invraisemblance et insignifiance. Il se trouve donc contraint à un compromis : préserver la vraisemblance, socle de toute motivation onomastique (et c’est pourquoi les noms propres de fiction sont « généralement empruntés au corpus des noms réels plutôt que forgés de toutes pièces ») et procéder à un estompement de la motivation, les noms propres devant être significatifs mais pas complètement ‘transparents’, ce qui nuirait à leur vraisemblance 27.

    « De façon générale, l’invention onomastique sera d’autant plus fine que l’écrivain renoncera aux facilités de la rhétorique au profit d’une appréhension plus subtile des ressources évocatrices de la langue. » Le romancier aura ainsi recours à des phénomènes d’ordre associatif (analogie des signifiés) ou connotatif, par exemple en référence à des conventions axiologiques (morphèmes dépréciatifs…) Ainsi Vailland donne au héros de 325 000 francs le nom de Busard, qui combine le prestige (à ses yeux) de l’oiseau de proie et la suggestion péjorative, dans la langue française, de la terminaison en -ard (renforcée par le prénom donné au même personnage : Bernard). Le nom seul du personnage contient ainsi une métaphore de son destin : il ne pourra pas être à la hauteur de ses ambitions.

    Ensuite, la phase de l’écriture n’est pas une simple mise en forme mais la découverte, au fil du processus, « de signifiés supplémentaires qui viennent se superposer à sa motivation principale sans l’annuler ». Ainsi, à partir d’un choix de noms propres plus ou moins plausibles, le texte va dans un deuxième temps « en actualiser les capacités expressives ». Il s’agit toutefois en général d’éléments secondaires, dans la mesure où la motivation onomastique de l’écrivain reste habituellement fondée sur les caractères les plus notables du personnage.

    Yves Baudelle nous invite ensuite à ne pas identifier le couple conscient/inconscient à l’antinomie conception initiale/ procès scriptural, et cela parce que « le choix appellatif peut aussi bien répondre à des motivations inconscientes ». C’est ce que disait également Joël Clerget : « La portée du nom propre déterminée subjectivement par sa couleur, ses sonorités ou ses variations spécifiques est au cœur de la création littéraire. Par le chiffre celé qu’il contient, il échappe plus ou moins à l’intentionnalité de l’auteur. » 28

    Enfin la troisième étape, qui échappe au pouvoir de l’auteur, est celle de la lecture et de l’interprétation. Le déchiffrement du nom propre par le lecteur représente-t-il un enrichissement ou une déperdition de sens ? Baudelle propose trois modèles herméneutiques :

    a) la rhétorique pure, où la légitimité est réservée aux effets de sens voulus par l’auteur – ce qui donne une lecture par trop restrictive, d’où deux autres hypothèses : b) le modèle libertaire et dialogique (défendu notamment par Julia Kristeva) qui autorise une « polysémie infinie du texte » et peut aller jusqu’à l’irrationnel ; c) en opposition à ces deux postures extrêmes, une forme de « régulation herméneutique » définie par deux bornes : le seuil de perceptibilité (cf. Riffaterre) et le seuil d’admissibilité.

    « Toutes les intentions de l’auteur ne sont pas lisibles (…) et toute interprétation onomastique n’est pas légitime », conclut Baudelle. « Le lieu de l’œuvre littéraire, dit bien Wolfgang Iser 29, (…) ne peut être réduit ni à la réalité du texte ni aux dispositions subjectives du lecteur. »

    Les noms chez Vailland : constantes et variantes

    Si le roman réaliste constitue un « instrument d’analyse des rouages et des mécanismes sociaux », s’il choisit « de décrire cette insertion de l’homme dans la société, de dire le monde, ses injustices et ses souffrances », si ce type de roman se caractérise par la lucidité du regard, l’attention portée au détail concret, l’étude des causalités, alors on peut considérer que l’œuvre de Roger Vailland appartient à cette catégorie 30 – et c’est d’ailleurs là qu’il est habituellement mentionné dans les ouvrages critiques. L’étude dont proviennent ces définitions, Le roman social, inclut d’ailleurs un chapitre consacré à Vailland (sous la plume de René Ballet) et intitulé « Une figure iconoclaste ». 31.

    L’objectif de représentation du réel va donc supposer, chez lui comme chez les autres auteurs présentant cette intention, le choix pour ses personnages de noms propres représentatifs de leur identité : sexe, âge, classe sociale, profession, etc. A l’exception de La Loi qui se passe en Italie, et dans une moindre mesure, de La Truite qui comprend un voyage aux USA, ces romans se situent en France, en province essentiellement (à part et en partie Drôle de Jeu et Bon Pied Bon Oeil) 32, et à l’époque contemporaine de leur écriture – les décennies 1940 à 1960.

    On ne s’étonnera donc pas de constater que les personnages de Vailland, pour la plupart, portent des noms français banals (Favre, Favart, Lemercier, Rambert…) et des prénoms courants à l’époque : Jeanne, Robert, Lucien, Lucie, Juliette… C’est ainsi que les noms commençant par Le- ou La- sont relativement fréquents chez lui : Antoinette Larivière (Bon Pied Bon Oeil), la famille Letourneau (Beau Masque), Marie-Jeanne Lemercier et Lenoir (325 000 Francs), Jean-Marc et Lucie Lemarque (La Fête).

    De manière générale, les personnages de Vailland sont peu nombreux (fait qui culmine dans La Fête qui est pratiquement un « huis clos » à quatre) et il y a peu d’exemples dans ses romans de grandes dynasties familiales. En fait, lorsqu’il met en scène plusieurs personnages d’une même famille, cela aura un sens particulier : ce sont notamment les Favre dans Drôle de Jeu (famille paysanne de Bresse formant la souche d’un groupe de résistants), les Letourneau dans Beau Masque (famille d’industriels du Jura), les Fleuri dans Un Jeune Homme Seul (famille parisienne populaire, formée par les enfants d’Adèle Fleuri et leurs conjoints).

    A contrario, certains personnages (certes secondaires, mais cependant significatifs) de Vailland n’ont pas de nom. Ce sont par exemple la logeuse de Marat dans Drôle de Jeu, désignée sous le sobriquet de « Mademoiselle », « fille et petite-fille d’artisans parisiens », elle-même ouvrière dans un atelier de couture ; le curé (membre du réseau de résistance) du village où Marat va séjourner ; les deux jeunes filles (« les yeux bleus » et « les yeux marron ») qu’il y rencontre pour les besoins du réseau et dont l’anonymat correspond au rôle clandestin de ces personnages. Dans La Loi, c’est l’ingénieur qui est désigné soit par sa fonction (« l’agronome »), soit par sa région d’origine (« Le Lombard »), ce qui est important dans un contexte de rivalité entre l’Italie du Nord et du Sud. Dans 325 000 francs, le coureur cycliste avec lequel Busard fait équipe n’est jamais appelé autrement que « le Bressan ».

    D’autres personnages et non des moindres n’ont qu’une identité partielle : un nom de famille sans prénom, ou l’inverse. On remarque que les hommes sans prénom sont plus nombreux que les femmes, et que les femmes sans nom de famille sont plus nombreuses que les hommes, ce qui correspond sans grande surprise à des pratiques courantes de désignation des êtres humains dans la société française. Pour certains des hommes (Duval, Galuchat), les prénoms sont indiqués à la première mention du personnage, mais non usités par la suite. Les femmes sans prénom sont souvent des personnages secondaires apparentés à d’autres plus importants. Il est à noter que Vailland s’attarde parfois à désigner certains personnages, même après leur première apparition, par leur appellation entière nom + prénom : Antoinette Larivière, Jeanne Gris. Habitude qui introduit une certaine distanciation dans le récit.

    Certains noms et prénoms récurrents font ressortir des constantes dans la nomenclature vaillandienne. Ainsi du prénom de Jeanne qui apparaît pour la première fois de manière ponctuelle dans Drôle de Jeu ; c’est le prénom de la fille cadette des Favre, les paysans bressans chez qui Marat se rend pour se concerter avec le curé qui anime le réseau local de résistants. Vailland attribue ensuite ce prénom à plusieurs personnages qui partagent tous un caractère volontaire, déterminé, et souvent une apparence nette et soignée (Jeanne Gris, Marie-Jeanne Lemercier).

    Un autre prénom qui revient plusieurs fois est celui de Lucie, également décliné sous les formes de Lucien et Lucienne. Les Lucien figurent plutôt comme des personnages épisodiques (Lucien Fleuri dans Un Jeune Homme Seul) voire de simples allusions (Lucien, l’ex-mari de Pierrette dans Beau Masque).

    Les femmes nommées Juliette représentent sans doute pour Vailland des figures de séductrices : c’est la rivale de Roberte dans Les Mauvais Coups, qui a tenté en vain de lui « voler » Milan, et c’est dans 325 000 francs celle de Juliette Doucet, présentée comme une fille belle et facile dont l’image s’oppose à celle de la rigide Marie-Jeanne.

    Le nom de Pierre est à l’évidence pour Vailland celui du militant modèle, comme en attestent le récit de Marat (Drôle de Jeu, 3e journée, VI), le personnage de Pierrette dans Beau Masque (« elle sera d’une trempe sans égale ») et celui de Pierre Madru dans Un Jeune Homme Seul. Le nom de Madru est d’ailleurs évocateur de force et de puissance, par sa brièveté, par la syllabe « dru » qui le termine, peut-être teinté de ruse (disons de tactique) si on pense aussi à l’adjectif « madré ».

    Plusieurs commentateurs de Vailland, dont Michel Picard, ont fait remarquer sa prédilection pour les prénoms féminins qui sont des masculins féminisés : Pierrette, Roberte, Frédérique… Mais alors que la Frédérique de La Truite est une femme déterminée, qui mène les hommes par le bout du nez et entend bien contrôler son destin, les personnages masculins de Vailland portant le nom de Frédéric sont plutôt des faibles : le Frédéric de Drôle de Jeu, l’ami d’Annie, abrite sous son engagement communiste les incertitudes de ses tentations religieuses, Marat le taxe de « pensée confuse » et d’ « esprit faux ». Celui de Beau Masque, Frédéric Mignot, est un militant excessivement scrupuleux dont même Pierrette critique le côté tâtillon ; et il est soumis à une épouse acariâtre et avide de confort petit-bourgeois. Inversion fréquente dans les livres de Vailland où bien souvent c’est l’homme le maîllon faible de la chaîne conjugale…

    Il est à noter que Vailland s’est servi plusieurs fois de son propre prénom, se mettant en scène en tant que narrateur dans La Truite et dans 325 000 francs ; plus singulièrement chez un auteur qui fait apparaître rarement des enfants dans ses livres, il donne ce même prénom à deux enfants, le bébé d’Antoinette Larivière dans Bon Pied Bon Oeil et le petit garçon de Pierrette Amable dans Beau Masque. Roger, comme le fait remarquer Marc Le Monnier 33, est ainsi le nom de celui qui n’est « pas parvenu à maturité ». On remarque également qu’il a soin de donner le nom de Morel (qui était le nom de jeune fille de sa mère) à plusieurs personnages qu’il présente comme plutôt antipathiques : le charcutier Morel dans Beau Masque, le patron de Plastoform, Jules Morel, et son fils Paul dans 325 000 francs.

    « Le souci de nommer ses personnages de roman sera toujours très lié à son expérience personnelle, écrit Marc Le Monnier. Vailland de ce point de vue ne cache pas que pour lui, la création romanesque n’est qu’une façon de se projeter personnellement dans un récit imaginaire. Il ira jusqu’à dire qu’en somme « l’autobiographie d’un romancier sera la somme de ses romans ». […] Dans 325 000 francs, Jules et Paul Morel représentent les bourgeois qui dirigent l’usine Plastoform et qui détiennent le capital. Ils ont le même nom que la mère de Vailland. Il s’agit donc pour l’auteur d’attribuer une valeur bourgeoise et dépréciative à ces deux personnages : un père et son fils (où est la mère Morel ?). En 1961, dans l’adaptation cinématographique des Mauvais coups (1948), dont Vailland signe les dialogues, la femme bouleversante que Milan cherche à séduire se nomme Hélène Morel (à la différence du roman où elle n’a pas de nom de famille). »

    Dans le même esprit, Vailland donne le prénom d’Anna à un personnage de La Loi, « Mme Anna », épouse malheureuse du commissaire Attilio, trompée, prématurément vieillie et ridiculisée dans la séquence de la plage.

    Inversement, certains noms reflètent chez Vailland un désir de magnifier, de glorifier, de rehausser un parcours, un destin. On a vu plus haut comment Busard est doté d’un nom d’oiseau de proie, mais ne se montre pas à la hauteur de son emblème. Vailland réserve à deux personnages qui sont ses doubles affichés d’autres noms de rapaces : Milan et Duc. Il tire profit des pseudonymes adoptés par les résistants pour se référer à une Histoire qui fait la part belle aux héros. C’est encore Marc Le Monnier qui commente ainsi son choix : « Marat, pseudonyme de François Lamballe (nom emprunté à un prince libertin du XVIIIe siècle), devient le personnage central de son premier roman Drôle de jeu. Son camarade Rodrigue - Jacques-Francis Rolland dans la réalité - a pris ce nom d’emprunt en référence à Corneille et son « Rodrigue as-tu du cœur ? » (cœur au sens de courage, pouvant se comprendre comme « Rodrigue es-tu vaillant ? »). […] Corneille, c’est donc à la fois la référence littéraire qui permet de s’engager dans la Résistance, tel un héros cornélien, un personnage de fiction. Corneille, c’est aussi celui qui permet de définir la valeur-étalon du courage, la valeur de l’honneur et de l’héroïsme : est vaillant celui qui a du cœur ! Ro-drigue, dans Drôle de jeu, est aussi un double de Ro-ger, dans le sens où c’est un personnage qui est à la recherche de l’héroïsme, qui est en quête de vaillance. Il est plus jeune que lui et Vailland peut donc rejouer à travers ce personnage ce que lui aurait voulu être plus jeune. »

    Le choix de Marat est plus curieux ; Marat, homme nerveux et maladif, n’est pas un vaillant au sens physique du terme ; sans doute Vailland/Lamballe apprécie-t-il plutôt sa capacité d’irrespect (cf Drôle de jeu, 2e journée, IV, à propos de Fouché). Associant Lamballe, figure emblématique de l’Ancien Régime, et Marat, révolutionnaire incontesté, le Vailland de Drôle de Jeu, selon une expression qui lui est chère, « fait le poids » de son propre devenir, entre le petit-bourgeois qu’il a été, le résistant qu’il est devenu, le militant communiste qu’il aspire à devenir. Rodrigue, lui, dans Bon Pied Bon Oeil, se réfèrera fréquemment à Saint-Just ; c’est un personnage beaucoup plus « pur », qui a fait d’emblée le bon choix et n’a pas à subir de mutation douloureuse.

    Les autres résistants qui figurent dans Drôle de Jeu ont, quant à eux, des pseudonymes évoquant l’Antiquité grecque et romaine : Caracalla, Thucydide. On connaît le goût extrême que Vailland affichait pour Plutarque 34 et n’oublions pas qu’il a consacré un livre de commentaires à Suétone. A cette tendance on peut rattacher également le nom d’Alexandre attribué dans La Fête au père de Léone et, naturellement, celui de Don Cesare pour le protagoniste de La Loi. On remarquera également que dans le récit fait dans Les Mauvais Coups par Roberte, qui raconte sa jeunesse à Hélène, l’ami intime de Milan (traduire Roger Gilbert-Lecomte pour Vailland) s’appelle Octave. Or Vailland entretient une tendresse particulière pour la figure d’Octave dans Plutarque, notamment en raison de la création de sa « bande des Commourants » qu’il cite dans La Fête.

    Dans le domaine animalier, il faut noter le nom de Léone qui est celui de l’épouse de Duc dans La Fête ; Léone est une lionne, solide et sereine ; c’est le version positive d’une autre lionne déchue, la Roberte des Mauvais Coups.

    Quelques noms isolés, enfin, appellent des commentaires particuliers. Dans La Truite, Vailland a visiblement choisi avec grand soin les noms de ses personnages. Evoquant les cadres de la SFPC, groupe papetier américain dont dépend la société gérée par Saint-Genis, il énumère leurs noms : « Mamoussian, Macumber, James Thornton, O’Nell, Isaac, Andromides ». On voit déjà la mondialisation à l’œuvre avec un conseil d’administration qui regroupe un Arménien, un Ecossais, un Irlandais, un Juif et un Grec ! Le nom de Saint-Genis lui-même est curieux. S’il s’appelait monsieur de Saint-Genis, on le verrait bien en héros d’un roman libertin du 18e siècle tel que Vailland les affectionnait. Mais il n’a pas la particule et Vailland insiste sur son origine et sa jeunesse banlieusarde ; son nom évoque d’ailleurs phonétiquement celui de Saint-Denis, dans la banlieue nord de Paris. Malgré cela, Saint-Genis ne sera pas un héros prolétarien, car Vailland n’est plus dans cette saison-là ; Saint-Genis ne peut être qu’un ’self-made man’, un nouveau riche qui aime se servir de son argent pour offrir des cadeaux à la femme qu’il convoite et l’emmener en voyage aux USA (et ce n’est sans doute pas par hasard que sa petite amie s’appelle Mariline). Parmi les autres personnages masculins de La Truite, Rambert – dont le patronyme provient probablement de la bourgade de Saint-Rambert en Bugey familière à Vailland – est un Français moyen, terre à terre, qui ne réussit guère professionnellement et que domine sa femme ou compagne Lou qui a, elle, une forte personnalité. Quant à Galuchat, il est aussi malléable que le cuir dont il porte le nom.

    Pour le reste, il y a sans doute quelque malice, de la part de Vailland, à avoir donné le nom de Radiguet (dans Les Mauvais Coups) à un vieux paysan, au directeur de publicité de la filature (dans Beau Masque) le nom de Gaspard Hauser, et à l’ingénieur de celui de Tallagrand, vrai nom de Thierry Maulnier, qui avait été son condisciple de à Normale Sup en 1928 et l’un des co-auteurs avec lui du roman-feuilleton Fulgur. Une ironie mêlée d’une certaine affection marque le nom de « Blanchette » - voire « La Blanchette » - porté dans Un Jeune Homme Seul par la prostituée qui est invitée au mariage de Lucien Fleuri et deviendra plus tard l’amie d’Eugène-Marie Favart. Portant un nom qui spontanément évoque une vache ou une chèvre plutôt qu’une femme… la Blanchette est un personnage sympathique, une femme généreuse, sans préjugés et sans prétention. Autres noms significatifs dans le même roman : Victoria, prénom de la mère d’Eugène-Marie Favart, convient particulièrement bien à cette femme pudibonde et timorée. Poupinel, le cousin des Favart, qui se révèlera à l’origine d’une escroquerie, trompe bien son monde avec ce nom enfantin et redondant.

    On voit donc bien comment les simples noms des personnages, ou le fait qu’ils n’en aient pas, nous donnent de multiples informations sur la place qu’ils occupent dans la narration, sur leur rapport aux préoccupations récurrentes de Vailland, à ses idées politiques et à ses réminiscences personnelles. Jusqu’à quel point ses choix sont délibérés, jusqu’où il entend s’y révéler ou s’y dissimuler, reste plus difficile à discerner.

    Elizabeth Legros Chapuis

    1. Roland Barthes : Noms de personne (dans 20 mots-clefs… interview Magazine Littéraire, février 1975) ; repris dans les Œuvres Complètes t. III p. 321

    2. Eugène Nicole : L’onomastique littéraire, in Poétique n° 54 (1983), p 235

    3. ibid. p 233

    4. En écartant de ce corpus des romans tels que La Visirova ou Cortès.

    5. Roland Barthes : Recherche de Proust, Editions du Seuil, 1980.

    6. Vincent Jouve : Poétique du roman, éd. Armand Colin, 2007, p 89.

    7. C’est moi qui souligne.

    8. Jean-Louis Vaxelaire : Les noms propres, une analyse lexicographique et historique, éd. Honoré Champion, 2005, p 675

    9. ibid. p 184

    10. Note de Vaxelaire : « Divers écrivains, comme Sade (Barthes 1971 : 172) ou Zola (Carlson 1983 : 286) ont avoué avoir passé des journées à sélectionner les noms de leurs personnages ».

    11. cité par Vaxelaire – op. cit. p 671

    12. ibid. p 184

    13. ibid. p 671

    14. Jouve, op. cit. p 89.

    15. Sur ce point voir Vaxelaire, op. cit. p 676

    16. David Lodge : L’art de la fiction, éd. Rivages, 1996, p 57 (chapitre 8 : Les noms)

    17. Lodge, op. cit. p 60

    18. Nicole, op. cit. p 235

    19. ibid. p 237

    20. Nicole, op. cit. p 239.

    21. ibid. p 133.

    22. Nicole, op. cit. p 242.

    23. Yves Baudelle : Sémantique de l’onomastique fictionnelle : esquisse d’une topique, pp 25-40, in Le Texte et le Nom, Actes du colloque de Montréal, avril 1995, édités par Martine Léonard

    24. Baudelle, op.cit. p 27.

    25. ibid.

    26. ibid.

    27. Même si, en l’occurrence, la réalité peut dépasser la fiction ; nous avons tous en tête des exemples de personnages réels portant des noms ‘transparents’.

    28. Joël Clerget : Le nom en littérature, dans Le nom et la nomination, éd. Erès, 1990, p 31

    29. W. Iser, L’acte de lecture, p 49 – éd. Mardaga, Bruxelles 1985

    30. Elizabeth Legros : Continuité du réel : Le rôle des images oniriques dans l’œuvre romanesque de Roger Vailland, colloque Vailland, rêves et réalités, Université de Belfast, juin 2004

    31. Le roman social, collectif sous la direction de Sophie Béroud et Tania Régin, éd. de l’Atelier, 2002

    32. Sur la localisation des romans de Vailland, voir l’article de Joël Pailhé : Le territoire dans le roman, publié dans le n°4 des Cahiers Roger Vailland (La Fête en Actes), décembre 1995, pp 19-29, et disponible sur ce site.

    33. Marc Le Monnier, La valeur des mots et des héros, site www.roger-vailland.com

    34. cf Elizabeth Legros : Plutarque à la taverne : les brèves rencontres de Vailland avec la Grèce, sur le site www.roger-vailland.com

    Source : www.roger-vailland.com


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    Les genres de la littérature orale :

    Réduire la littérature orale à la seule forme du conte, c’est laisser de côté de multiples usages de la parole. Le terme " littérature orale " qui apparaît tout d’abord comme un oxymoron (" littérature " est dans nos sociétés associé à l’écrit) désigne un genre très vaste et diversifié. Il regroupe à la fois les devinettes ou énigmes, les formules divinatoires, les maximes et dictons, les louanges, les anthroponymes et les toponymes, et enfin les plus connus, les proverbes, les fables et les contes. Ces genres de la littérature sont universels. Ils ont une grande importance sociale et une structure linguistique particulière. Il existe une grande solidarité entre les différents genres de la littérature traditionnelle. Les proverbes sont bien souvent l’essence d’un conte et le conte est souvent l’illustration d’un proverbe. Geneviève Calame Griaule à ce sujet explique que : "dans les soirées Dogon, où l’on raconte une histoire, on doit toujours commencer par un échange de devinettes : les contes et les fables viennent ensuite. " Il n’y a pas de réelles frontières entre les différents genres de littérature, ils utilisent le même stock thématique et remplissent les même fonctions socioculturelles. Un exemple de littérature particulière chez les Mossi est l’anthroponymie, construction des noms d’après une analyse méthodique. Par exemple, le terme PUSRAOGO désigne le deuxième enfant, masculin (raogo = mâle), que les parents ont confié à un tamarinier (pusi).
     

    Les circonstances d’énonciation :

    Tout comme la parole, la littérature orale doit suivre des règles quant à la profanation. Le moment le mieux adapté est le soir, à la tombée de la nuit (vers 18h-19h) autour d’un feu. Ceci pour des raisons pratiques : la journée les hommes vaquent à leurs occupations alors que le soir ils sont réunis, le corps et l’esprit reposé. Mais aussi pour des raisons symboliques, la nuit est associée à la mère et à la fécondité. Proférer la nuit est bénéfique pour la parole. Il existe aussi une littérature particulière réservée à certaines occasions : veillées funèbres, récolte, tissage, initiation... Ces règles même si elles sont différentes d’une tribu à l’autre constituent une constante des sociétés orales. La littérature orale se récite généralement dans uns case ou une aire sablonneuse à l’orée du bois en fonction de la saison. Remarquons ici que désigner le contage par le terme récitation peut sembler étrange étant donné le caractère figé de la récitation, et la théâtralité des contes. Toutefois, c’est le terme que nous avons choisi pour désigner le fait de conter, comblant ainsi, un manque terminologique. Certaines productions orales comme la littérature initiatique se récitent dans la brousse, loin des regards indiscrets. On peut également réciter sur la place publique ou au centre d’une concession. Où qu’elle se passe, la récitation est publique. Elle implique la présence de l’émetteur et du récepteur à portée de voix (sauf dans le cas des tambours parleurs). La présence d’un auditoire est indispensable : on ne dit pas un proverbe pour soi, on ne conte pas sans public. La littérature orale instaure une interaction entre émetteur et un ou des récepteur(s) qui doivent manifester leur présence. Il est de coutume que l’auditeur formule un son nasal à la fin de chaque réplique du conteur. Ce son [nn] qui signifie oui est indispensable à la poursuite du récit. Nous avons personnellement pu observer cette interaction lors d’une récitation de conte. La conteuse pour être certaine de bien garder notre attention introduisait au fil de son conte le mot " édjimé " auquel nous devions répondre " éwa " en respectant le ton qu’elle avait employé. Ces formules permettent de maintenir le contact (ce qu’on appelle la fonction phatique) et crée une complicité entre émetteur et récepteur. Comme dans toute production orale, le récit se construit dans l’interaction. La présence du récepteur peut changer le message.
     

    Une littérature engagée :

    Dans la littérature orale, rien n’est gratuit, on ne fait pas de " l’art pour l’art ". Comme nous l’avons vu, la littérature traditionnelle est un enseignement. Comme la parole, elle engage la société. La littérature orale ne connaît pas l’expression des sentiments égoïstes et individuels. Elle est le porte-parole de la pensée et des valeurs collectives. Elle remplit des fonctions pédagogiques, politiques, initiatiques, fantasmagoriques. En mettant en scène les problèmes quotidiens, elle assure le maintien et la survie du groupe. Elle remplit aussi une fonction thérapeutique préventive pour pallier l’excès ou le débordement. Elle aborde des problèmes comme la hiérarchie, les conflits de générations, les problèmes liés à la polygamie, ce qui révèle un souci politique du maintien de l’ordre. Mettre en scène la vie quotidienne et ses drames a pour effet de réduire les tensions : elle s’apparente à la catharsis grecque. Elle remplit également une fonction initiatique parce que c’est par la littérature orale qu’on va effectuer le rite initiatique, entre autres en contant dans une langue codée (la langue des initiés). La littérature orale puisqu’elle met en scène la société renseigne sur le milieu écologique, les habitudes, les structures, les croyances, la technologie de la société. C’est une source importante pour les ethnologues.
     

    Caractéristiques de la littérature orale :

    La littérature orale n’est pas très différente de la littérature écrite mais elle subit d’autres contraintes liées à son oralité. La première caractéristique de la littérature orale est son dualisme. Elle est passée puisque traditionnelle, mais elle est aussi tournée vers le futur et la transmission. Ce n’est donc pas un genre figé mais un genre qui évolue en fonction des besoins et de la mode Elle est constituée de deux parties : une partie rigide, l’enveloppe conservatrice qui est généralement connue par les auditeurs. Et une partie souple que le conteur adapte en fonction de son talent et de sa personnalité. Enfin, ce qui caractérise la littérature orale est sa structure rythmée. En effet, elle met en œuvre la structure tonale de la langue et s’accompagne souvent de musique et de chants. La littérature orale illustre parfaitement le rôle et l’importance de la parole dans les sociétés traditionnelles. C’est un genre complexe et riche qui se distingue de la littérature écrite par des conditions d’énonciation propres au style de vie et à la manière de penser des sociétés orales. Le genre de littérature le plus connu est le conte. Il possède les mêmes caractéristiques générales que la littérature orale plus quelques particularités. Nous allons voir quels sont ces points qui singularisent le conte à l’intérieur du genre " littérature orale ".

     Source : www.contesafricains.com


  • Voici quelques exemples afin d'illustrer la façon de faire des conteurs :

     

    corbo

    Le Roi des Corbeaux

     

    PPM

    Papa Moustapha

     

    aram

    Une histoire dans le sable

     

    GGO

    Le garçon aux grandes oreilles

     


  • Pour les étudiants en master « FLE et didactique des langues-cultures », voici un site très intéressant :

    http://masterdidafle.canalblog.com/

    Ce qui a vraiment attiré mon attention est la rubrique « méthodologie » :

    http://masterdidafle.canalblog.com/archives/2010/11/02/19500139.html

    Bonne lecture.

     

    Master didactique