• L'oralité

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    Oralité


    Par opposition à l’écriture, l’oralité est un mode de communication fondé sur la parole humaine et sans autre moyen de conservation que la mémoire individuelle. Par extension, l’oralité désigne ce qui, dans le texte écrit, témoigne de la parole et de la tradition orale.

    Oralité

    Par opposition à l’écriture, l’oralité est un mode de communication fondé sur la parole humaine et sans autre moyen de conservation que la mémoire individuelle. Par extension, l’oralité désigne ce qui, dans le texte écrit, témoigne de la parole et de la tradition orale.

    Aussi loin que peut remonter la mémoire humaine, la récitation des mythes, l’accomplissement de rituels, la généalogie et les coutumes ont été des dispositifs de transmission des savoirs. Cette tradition orale repose sur une chaîne de répétition, formée d’individus choisis, et elle est soumise au fonctionnement de la mémoire qui peut sélectionner des souvenirs, modifier les catégories d’interprétation ou enjoliver l’anecdote. Seul le récitant peut attester l’authenticité du message dont l’origine s’est perdue dans le temps. L’apparition de l’écriture n’élimine pas la tradition orale, mais elle réduit son espace et sa fonction sociale.
    Dès son origine, la littérature participe de l’oralité. Contes, poèmes sont récités et, souvent, mémorisés et transmis oralement. L’écrit représente fréquemment une étape de stabilisation des textes. La littérature écrite puise abondamment dans ce fonds traditionnel. Depuis la Bible, la littérature épico-héroïque prend sa source dans des chansons et des légendes et elle utilise des techniques de composition propres à la tradition orale (notamment les généalogies). Au Moyen Âge, les racines des chansons de geste, chansons lyriques voire de la littérature courtoise plongent en grande partie dans le folklore. Rabelais construit le comique par l’hybridation des langues ou traditions populaires et savantes. Genre porté d’abord par la tradition orale, le théâtre utilise toujours le fonds des farces et comédies populaires.
    D’autre part, la prononciation, l’action et la mémoire font partie de la rhétorique et codifient un usage efficace de la parole. Tout au long de la première modernité (XVIIe-XVIIIe s.), oralité et recours à l’écrit (notes, canevas) se mêlent dans les genres qui relèvent de l’éloquence (oraison, sermon, éloge), tandis que les formes poétiques brèves prisées dans les salons (chansons, proverbes, impromptus, bouts rimés) dissimulent les traces de leur préparation écrite.
    Contre la rhétorique se pose toutefois le problème d’une langue littéraire plus « naturelle », par imitation de la langue parlée. L’élimination du vers et le recours à la prose dans le roman er la comédie participent de ce phénomène. La transcription de la variation linguistique (niveaux de langue, accents, rythme, ton) propre à certains personnages est d’abord réservée au valet ou au paysan de la comédie classique puis elle s’étend au dialogue de roman avec George Sand.
    Dans la seconde modernité, l’oralité est devenue un des paradigmes de la création littéraire. Elle prend plusieurs formes comme le rappel de motifs ou genres de la tradition orale (saga, conte, légende), la mise en scène de personnages qui racontent (Barbey d’Aurevilly, Maupassant), l’utilisation des « mots ordinaires » (Mallarmé), le recours aux expressions populaires et à l’argot dans la narration romanesque (Céline), le travail sur le rythme et la prosodie imitant la conversation (Aragon), le bavardage (Queneau) ou le cri politique (Miron). Elle caractérise également les systèmes linguistiques mixtes servant à l’affirmation littéraire des différences nationales : sabirs maghrébins, français créolisé, joual québécois.

    Il n’existe pas de théorie unifiée de l’oralité dont l’étude est dispersée entre plusieurs disciplines (ethnologie, linguistique, histoire). La thématique des littératures orales a été l’objet de deux grandes entreprises : la morphologie des contes par Vladimir Propp et l’anthropologie structurale de Claude Lévi-Strauss. Le transfert de ces approches vers les littératures écrites, fécond pour la théorie des genres et l’analyse structurale du récit, laisse pendante la question du caractère proprement littéraire de ces production, issues de la tradition orale et caractérisées par la variation et par la fusion des deux moments de la compositio et de la recitatio. Depuis Parry (The Making of Homeric Verse, 1971), certains suggèrent toutefois que la présence d’un canevas narratif inscrit dans un ensemble de contraintes métriques et prosodiques peut réunir les formes orales et écrites de la littérature.
    Dans les années 1930, l’étude de l’oralité dans la littérature écrite émerge chez Bakhtine, autour des notions de plurilinguisme et de carnavalisation, avant d’être reprise par les poéticiens préoccupés de la matérialité physique du langage qui se manifeste dans la voix (Zumthor) ou le rythme (Meschonnic) ; leurs approfondissements théoriques sont contemporains de la recherche des écrivains sur la transposition du langage populaire dans le texte (Céline, Aragon, Ramuz). Plus généralement, toute entreprise stylistique qui vise à donner un sentiment de présence sensible du texte suscite une quête de l’oralité à travers l’écrit. On notera pourtant que la lecture littéraire à voix haute (celle que pratique Gide par exemple), l’improvisation, la mémorisation et les rapports de communication propres au récit public, à la conversation ou au dialogue (bienséances, règles de procédures, rapports de pouvoir) restent des territoires peu explorés hors des théories linguistiques de l’énonciation.


    ROBERT, Lucie, in, ARON, Paul, SAINT-JACQUES, Denis, VIALA, Alain, Le dictionnaire du littéraire, Paris, PUF, 2002, p. 426.

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